Deux ans plus tard, le choc a fait place à la fatigue. Fatigue de la guerre, de ses morts et de ses tranchées. Fatigue des mauvaises nouvelles qui s’accumulent et qui se perdent parmi d’autres, tout aussi crève-cœurs. Et, pour de plus en plus de gens, fatigue de payer pour ce lointain conflit qui, croient-ils, ne les concerne pas…

Abandonner l’Ukraine serait pourtant une terrible erreur. Cette guerre ne décidera pas seulement de l’avenir du peuple ukrainien. C’est une bataille entre la liberté et la dictature, entre la démocratie et le totalitarisme. Son issue aura de profondes répercussions en Europe, et sans doute bien au-delà.

N’empêche : c’est vrai, tout le monde est fatigué. À commencer par les soldats ukrainiens, à bout de force et de munitions. Samedi, ils ont été chassés des ruines d’Adviïvka, dans l’est du pays.

Une défaite majeure, peut-être un tournant dans cette guerre qui entrera bientôt dans sa troisième année. Les troupes russes, en tout cas, n’ont pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin.

Elles risquent de percer d’autres lignes de défense ukrainiennes, où le moral est à plat. Le pays peine à mobiliser de nouveaux soldats pour défendre un front qui s’étire sur un millier de kilomètres. Aux bureaux de recrutement, les files d’attente ont disparu depuis longtemps. Plus personne ne se précipite pour aller mourir au fond d’une tranchée – face à des troupes russes qui, elles, peuvent puiser dans un bassin apparemment sans fond de recrues bien fraîches.

PHOTO RAMIL SITDIKOV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Vladimir Poutine

Le seul qui ne semble pas fatigué de cette guerre d’usure, c’est celui qui l’a déclenchée. Patient, Vladimir Poutine mise justement sur l’épuisement de ses ennemis. Il semble convaincu que, tôt ou tard, l’Ukraine n’aura pas le choix de battre en retraite, lâchée par ses alliés occidentaux.

Le calcul du dictateur russe semble malheureusement de plus en plus réaliste. La Défense nationale canadienne a bien annoncé lundi l’envoi de 800 drones en Ukraine, au coût de 95 millions de dollars. Mais ça ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins en armement. En outre, le Canada parle beaucoup, mais fait très peu. Voilà plus d’un an qu’il promet à son allié un système de défense sol-air. L’Ukraine attend toujours.

Autrement plus grave pour Kyiv : l’aide de 60 milliards de dollars américains promise par le gouvernement de Joe Biden est bloquée par des querelles politiques à Washington.

Des élus républicains font traîner les choses pour nuire au président. D’autres ont peut-être consulté le récent sondage du Pew Research Center, selon lequel 48 % des électeurs républicains trouvent les États-Unis trop généreux envers l’Ukraine…

Au Canada pointe la même impatience : 43 % des électeurs conservateurs pensent qu’Ottawa en fait trop pour son allié européen. Un an plus tôt, ils n’étaient que 19 % à le penser, selon un sondage Angus Reid.

Ajoutez à ce tableau la possible réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis, qui risquerait alors de couper les ponts avec l’Ukraine – et même, à en juger par ses invraisemblables déclarations, d’encourager Moscou à envahir les pays alliés qui ne paient pas leur juste part à l’OTAN. Cette perspective a de quoi faire trembler bien des leaders…

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Des Ukrainiens transportent des munitions dans la région de Louhansk.

Vladimir Poutine, quant à lui, ne peut que se réjouir de l’éventuel retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. D’ailleurs, il fera tout pour que cela devienne une réalité. Attendez-vous à des campagnes de désinformation massives d’ici le scrutin de novembre, gracieuseté des « bots » russes.

Certains se demandent si, après deux ans de guerre, l’Ukraine et ses alliés ne devraient pas arrêter les frais. La puissante Russie finira bien par gagner, se disent-ils. Autant limiter les dommages et négocier la paix, maintenant.

Le problème, c’est que Poutine n’est pas prêt à négocier quoi que ce soit. Son objectif, c’est de mettre l’Ukraine à sa botte. La conquérir. L’effacer, même. Si l’Occident cesse de fournir des armes à l’Ukraine, ça n’apportera pas la paix là-bas.

Ça apportera de la torture, des viols et des massacres, comme dans les territoires conquis par l’armée russe dans les premiers mois de la guerre. Ça apportera la terreur et la répression, à l’échelle nationale.

Les troupes de Poutine déboulonneront les statues. Elles pilleront les musées et les bibliothèques. Elles interdiront l’usage de la langue ukrainienne. Elles forceront les écoles à enseigner la glorieuse histoire de la Grande Russie. Elles éradiqueront la culture, la mémoire et l’identité de toute une nation.

Il y a un an, j’ai documenté les efforts de Moscou pour transformer Kherson occupé en ville russe, purgée de sa culture ukrainienne1. Depuis, l’objectif du Kremlin n’a pas changé. Dans un nouveau rapport, l’Institute for the Study of War de Washington souligne que « la guerre en Ukraine est avant tout une guerre pour le contrôle du peuple et non du territoire »2.

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Un Ukrainien à bord d’un char fait le plein de munitions dans la région de Louhansk.

« Poutine cherche à concrétiser sa fausse conviction idéologique » selon laquelle les Ukrainiens seraient simplement des Russes déboussolés. Leur identité, leur langue et leur histoire seraient l’invention d’un petit groupe soutenu par l’Occident qui chercherait à imposer cette légende à la majorité des habitants.

L’enjeu de cette guerre ne se limite donc pas à un partage de territoires. Loin de là. C’est de la vie, de la liberté et de l’identité de millions d’Ukrainiens qu’il est question, insiste le rapport. De cette évidence découle une inévitable conclusion : « Les discussions arides, abstraites et ‟réalistes”” visant à faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle fasse des ‟concessions » – pour ‟échanger des terres contre la paix" – ignorent la réalité de la guerre. »

1. Lisez « Objectif : anéantir l’identité ukrainienne » 2. Consultez le rapport de l’Institute for the Study of War (en anglais) Envoyez-nous vos questions sur la guerre en Ukraine. La Presse répondra à des questions de lecteurs ce samedi.