C’est par l’entremise d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux au petit matin que Joe Biden a annoncé mardi qu’il briguera à nouveau la Maison-Blanche. Loin des foules. Loin des électeurs.

On a plutôt eu droit à trois minutes quatre secondes de moments choisis et de musique entraînante. Un méli-mélo plein de sourires et de poignées de main. De tapes dans le dos.

Ça en dit long.

Voyez la vidéo de lancement de campagne de Joe Biden (en anglais)

Le choix d’une vidéo comme rampe de lancement d’une campagne électorale nous rappelle que l’ancien sénateur du Delaware n’est pas un président au sommet de sa gloire ni un orateur qui fait courir les foules.

C’est plutôt un président gaffeur qui, depuis octobre 2021, est incapable de convaincre plus de 45 % des Américains qu’il est l’homme de la situation. Et ce, même s’il a succédé à un président catastrophe qui fait aujourd’hui face à la justice.

Et que dire de sa colistière ? La vice-présidente Kamala Harris – qui sera à nouveau sa partenaire de campagne pour l’élection de 2024 – ne récolte que 40 % d’approbation parmi les électeurs sondés. Pire que le locataire du bureau Ovale.

Disons que dans de telles circonstances, on comprend qu’ils ont voulu éviter un bain de foule tiède. Il était moins risqué de s’en remettre aux mains magiciennes d’un monteur inspiré.

Il reste que – vu du Canada – le faible taux d’assentiment des Américains à l’égard du 46e président américain est difficile à comprendre.

Non, Joe Biden n’a pas fait que des bons coups depuis son arrivée au pouvoir. Parlez-en aux Afghans qui ont subi le retrait chaotique des troupes américaines en août 2021. L’actuel président a néanmoins à son tableau d’importantes réalisations, dont celles d’avoir fait accepter au Congrès deux ambitieux plans de relance de l’économie américaine.

Il a aussi joué un rôle central et rassembleur dans la réponse de l’OTAN à l’invasion russe de l’Ukraine, au grand dam de Vladimir Poutine. Et surtout, surtout, il a réussi à naviguer dans les eaux troubles de Washington sans virer la moitié de son équipe et sans insulter les journalistes et tous ceux qui lui tiennent tête.

Mais est-ce assez ?

« De notre point de vue au Canada, Biden semble efficace, mais il y a deux rôles rattachés à la présidence américaine. Celui de roi et celui de premier ministre », dit Gil Troy, historien et professeur à l’Université McGill, joint en Israël.

Joe Biden est un bon premier ministre, mais c’est un piètre roi.

Gil Troy, historien et professeur à l’Université McGill

« Il est âgé. Il fait des bourdes. Il ne semble pas toujours avoir l’énergie attendue pour la fonction. Et surtout, il n’a pas su donner le ton à sa présidence, comme un John F. Kennedy l’a fait », dit celui qui a consacré plusieurs ouvrages aux présidents américains.

Dans ce système d’aigle à deux têtes, le travail de chef de gouvernement peut être salué ou décrié, mais c’est la performance en tant que chef d’État qui soulève les passions et marque les esprits. Celle de Joe Biden déçoit ou laisse indifférente une majorité d’Américains.

C’est donc un choix cérébral du Parti démocrate et non un élan du cœur qui explique que Joe Biden brigue un deuxième mandat. Les sondages l’indiquent : malgré sa faible popularité, Joe Biden a plus de chances que n’importe qui d’autre de remporter la mise s’il se mesure à nouveau à Donald Trump. Ou à un autre candidat républicain.

Dans cette interminable course de chevaux que sont les élections présidentielles américaines, M. Biden, qui aura 82 ans lors du scrutin, ne sera pas l’étalon le plus éclatant, mais le plus fiable.

« Chez les démocrates, il pourrait y avoir des candidatures plus fortes que la sienne, mais elles viennent avec des risques. En choisissant Joe Biden, le parti évite une guerre interne », croit Rafael Jacob, expert de la politique américaine et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

En d’autres termes, pendant que les chevaux républicains vont se battre à coups de sabot dans le box d’à côté pour savoir qui sera sur la ligne de départ, le candidat démocrate sera en selle et aura le temps de rassembler ses alliés.

Rien de bien excitant, direz-vous, mais stratégiquement, ça se défend. Et quand le sort de la démocratie américaine est en jeu, on comprend que la prudence puisse être une puissante conseillère.