Le soleil se lève à peine dans la réserve Ashuapmushuan, à 45 minutes au sud de Chibougamau. On descend du véhicule, puis on se dirige vers les armes, rangées dans le coffre. Il est trop tard pour reculer. Le chef Jean-Philippe Leclerc me tend un petit fusil à bascule de fabrication soviétique dans lequel on ne peut insérer qu’une seule cartouche. Si je rate ma cible, tant pis pour moi, je dois recharger. Pour chasser le stress, je me dis que c’est probablement plus juste pour l’animal.
En toute franchise, je n’ai jamais eu le goût de chasser. Et je n’avais jamais utilisé d’arme à feu. Mais je me suis tout de même procuré mon permis d’apprenti, qui permet une fois dans sa vie de partir avec un chasseur expérimenté, sans avoir son propre certificat – que l’on obtient au terme d’une formation en bonne et due forme. Mais le fait de pouvoir goûter la viande chassée le jour même et apprêtée par un chef a achevé de me convaincre. Après tout, les recettes de Jean-Philippe Leclerc se retrouvent dans le tout nouveau livre Hooké – Aventures et cuisine sauvage, de Fred Campbell.
« À l’époque, pour moi, la chasse n’était pas barbare, mais je ne comprenais pas, ça n’avait pas de sens », reconnaît celui qui a déjà travaillé dans les cuisines de la Tanière et de L’Initiale, à Québec. « Mais avec les années à travailler en restauration, j’ai eu le goût de tenir compte de la traçabilité de la protéine animale que je consomme, de savoir d’où elle provient, dans quelles conditions elle est élevée », explique le chef.
Mais pour Jean-Philippe Leclerc, l’intérêt d’aller en forêt ne se limite pas seulement au fait qu’il peut y récolter sa propre viande. « Je suis né à Saint-Michel-de-Bellechasse, j’ai grandi au bord du fleuve Saint-Laurent, c’était pas mal mon terrain de jeu, à proximité de la nature, se rappelle-t-il. Mon intérêt pour le plein air est vraiment parti de là. Et c’est aussi là que j’ai découvert la cueillette des plantes grâce à un enseignant qui faisait du remplacement, je devais être en troisième année. »
Myrique baumier, poivre des dunes, notre guide chasseur-cueilleur a profité de notre promenade pour attirer notre attention sur les fruits de la forêt, une activité enrichissante en soi, même si on était revenus bredouilles.
Souvent, dans les émissions et les sites consacrés à la chasse, on se limite au fait de traquer, de chasser, d’abattre. On prend des photos avec notre gibier, on est content et c’est tout. Mais tant qu’à être en forêt, on peut regarder autour de soi, il y a des champignons, il y a des plantes…
Jean-Philippe Leclerc
Et la chasse au petit gibier permet justement cela, et c’est en partie pourquoi il s’agit de la chasse la plus accessible. « Le petit gibier, ça reste quand même ma chasse préférée après l’orignal parce que c’est une chasse où on peut se promener, tu n’as pas à te soucier de tes odeurs, de faire du bruit, tu peux jaser, explique celui qui gagne aujourd’hui sa vie comme cuisinier dans un CPE. Moi, j’y vais avec les enfants, je les ai initiés tout jeunes à ça. Et quand tu marches, tu prends l’air, tu es contemplatif ; tu as vu justement combien de fois on s’est dit combien c’était beau ici ! Tu fais de la randonnée et tu fais ton épicerie en forêt ! »
Quête d’autosuffisance
Jean-Philippe Leclerc chasse depuis maintenant plus de 12 ans, si bien qu’il lui arrive rarement d’acheter de la viande à l’épicerie pour sa famille. Il est évidemment conscient que le mode d’approvisionnement qu’il a choisi n’est pas pour tout le monde et que ce ne serait de toute façon pas viable à grande échelle. « Je vis avec une consommation de viande raisonnable, alors lorsque j’ai un grand gibier comme un orignal, je peux faire un an, un an et demi avec une demi-carcasse, nous apprend-il. À travers tout ça, j’ai aussi des gélinottes, des cerfs de Virginie et quelques poissons. Et c’est certain que je mange aussi beaucoup végé. »
« Aussi, ça nous fait vraiment penser au privilège qu’on a de pouvoir manger ça, beaucoup plus que lorsqu’on l’achète à l’épicerie ou au restaurant, tu ne penses pas à ton produit, enchaîne le chef avec justesse. J’ai donc encore moins le goût de gaspiller, tu sais. »
Jean-Philippe conserve presque tout des animaux qu’il chasse. Il a fait confire les gésiers et les cœurs des gélinottes et des tétras du Canada que nous avons chassés et les carcasses ont servi de bouillon pour une prochaine recette.
« Tu remercies l’animal qui est dans ton assiette, tu le mets en valeur, insiste-t-il. C’est pourquoi je pense que les chasseurs sont foncièrement des amants de la nature, des amoureux du bien-être animal, et ça, il faut essayer de démythifier ça. Il y a tellement de préjugés, on parle tout le temps de la chasse pour les mauvaises raisons, quand il se passe des choses ignobles comme le braconnage. »
Il y a beaucoup de gens qui pensent le contraire, mais moi je considère que lorsque c’est bien fait, dans le respect de l’animal, c’est noble, la chasse.
Jean-Philippe Leclerc, chef-chasseur-cueilleur
Et quand on consomme de la viande que l’on a chassée, il y a toujours une histoire qui vient avec, nous dit Jean-Philippe Leclerc. J’avais effectivement beaucoup de choses à raconter autour de la table après avoir cuisiné les tétras rapportés de ma première chasse. Mon petit doigt me dit que ce pourrait ne pas être la dernière.
Joindre l’utile à l’agréable
Située au nord-ouest du lac Saint-Jean, de part et d’autre de la route 167, la réserve faunique Ashuapmushuan s’étend sur près de 4500 km2. Son vaste territoire et la pression de chasse moindre, surtout dans le nord de la réserve, en font l’endroit rêvé pour la chasse à la gélinotte huppée, à la gélinotte à queue fine et au tétras d’Amérique. Outre la chasse, il est possible d’y pratiquer la pêche, surtout au doré et au brochet. On peut aussi y faire du canot-kayak, de la descente de rapides et du camping.
Consultez le site de la réserve faunique Ashuapmushuan de la SEPAQ