L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

L’automne, la chasse. La lumière qui baisse. Le vent qui tire du nord. Assis dans les feuilles mortes, adossé à un arbre. Dans l’attente.

Et penché sur le sol du potager, aussi, cette semaine, les genoux et les mains dans la terre mouillée qui a gelé et un peu dans la neige. Le temps d’arracher les dernières plantes et de récolter les derniers fruits et légumes qui ont été épargnés par le gel (quand même impressionné, on se dit, on est rendu au début de novembre et on fait encore des baba ganoush frais avec les aubergines). Quelques oignons oubliés, des carottes et des herbes s’obstinent. Autre signe : beaucoup plus « d’étranges » que d’habitude au village.

Il y a du va-et-vient dans le bois et les campagnes. Chaque automne le même rituel. Quelques centaines de milliers de personnes attendent ou traquent le gibier en forêt, dans les plaines, lacs, marais ou sur le littoral. Si certains le font comme une activité sociale, la plus grande majorité des chasseurs que je connais y vont pour récolter de la viande et s’en nourrir, entre l’idéologie et l’utilitaire ou parce que c’est rendu hors de prix à l’épicerie. Voilà par ailleurs une activité faite avec des armes qui fait un peu moins les actualités que les armes au Moyen-Orient. Mais c’est un autre sujet, proche du baba ganoush (tout est relié), j’en conviens. On va presque l’éviter aujourd’hui.

J’étais à l’atelier au début de la semaine. Un texto entre. Quelqu’un, un Juif, avec qui je travaille en Californie, m’envoie une vidéo d’étudiants de l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) qui manifestent, marchent et scandent des slogans incitant à tuer les Juifs au nom de la Palestine. Ça va péter là aussi, on se dit ; la philanthropie d’origine juive est importante dans cet établissement. Bin coudonc, on se répète.

Tous les conflits finissent par révéler notre identité et les paradoxes de la nature humaine.

On semble oublier que l’écart de pouvoir (et de richesse) entre les élites et le reste de la population ne se creusera pas jusqu’à l’infini. Il va finir par y avoir un effondrement, un glissement de terrain ou une explosion de l’ordre social. Ça va grincer avant, il y aura des signes, on se fait dire par ceux qui observent. Mais peut-être est-ce commencé ? On s’en méfie certes, mais parfois on le souhaite un peu en secret. Car…

Un peu plus tard dans la semaine, en écho à ce qui se passe ici : les échecs des systèmes de santé reviennent nous hanter comme des personnages d’Halloween qui faisaient davantage peur lorsqu’ils ou elle étaient premiers ministres. Et la bête lourdeur administrative qui gangrène le corps social, la déficience des systèmes scolaires, sociaux et publics. Il n’y a pas d’ailleurs une grève dans quelques heures ? On est en droit de se demander si la mécanique de gouvernance actuelle est toujours le meilleur moyen de se gérer. Quelqu’un, quelque part pourrait inventer une nouvelle manière de penser le présent ?

Où l’a-t-on « échappé » ? Et pourquoi.

Toujours dans l’atelier, j’écoute en boucle le premier disque de Zaho de Sagazan. C’est magnifique et obsédant. Une des belles artistes, depuis belle lurette. Franchement douée. Elle a 23 ans. Et voilà que tout a du sens. Elle chante le présent et l’avenir avec foi. Critique et lucide.

Croire en soi est un cycle. Qui comme la chasse ou les aubergines, vont et viennent.

Parfois la haine, parfois l’amour. Elle chante avec l’intention de survivre et ne pas être abattue. Et c’est merveilleux.

J’étais au pied d’un grand pin blanc. La lumière tombait rapidement (courage, il ne reste que 45 jours avant le solstice d’hiver). J’entends ma respiration. Les doigts gelés, devant moi un cerf avec des cornes de trophée. Je n’ai pas levé mon arc. On s’est regardés une longue minute et on est restés dans le silence. Il était si bon, ce silence. Il a fini par reprendre sa route et disparaître doucement dans le bois sale. Prochaine fois, j’ai dit. Sinon, c’est même pas grave. Les choses vont et viennent, on se dit. J’irai au dépanneur m’acheter un sac de Miss Vickie’s au sel et vinaigre, si j’ai faim.