On attribue souvent le début de notre débat sur la langue française à la fin des années 1960, affirmant que la langue française est devenue vulnérable, notamment à Montréal, en raison en grande partie du refus des immigrants italiens d’inscrire leurs enfants dans les écoles francophones. Les émeutes de Saint-Léonard en 1969 ont été déclenchées par cette perception.

La stratégie de montrer du doigt les immigrants pour les défis linguistiques au Québec, une pratique qui perdure, trouve ses origines avec la communauté immigrante italienne. Cette version des faits, qui critique les immigrants italiens, passe sous silence le traitement réservé aux Italiens par le système éducatif catholique francophone du Québec de l’époque, éludant ainsi une dimension cruciale de ce débat.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Émeute du 10 septembre 1969 à Saint-Léonard, où francophones et Italo-Montréalais se sont affrontés sur la langue d’enseignement.

De la période de la Conquête jusqu’à celle de la Confédération, l’éducation au Québec, tel que nous le connaissons aujourd’hui, était dispensée par des « écoles confessionnelles » : il s’agissait des écoles catholiques francophones, des écoles catholiques anglophones et des écoles protestantes anglophones. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 garantissait constitutionnellement la protection des écoles catholiques et protestantes du Québec. L’importance de la religion dans la société de l’époque et son impact significatif sur le système éducatif ne peuvent pas être minimisés. La foi religieuse constituait ainsi le critère de sélection pour l’inscription des enfants dans les écoles québécoises.

Après la Seconde Guerre mondiale, ce système éducatif a été confronté à une vague d’immigration sans précédent. Parmi les nouveaux arrivants, les Italiens constituaient un groupe significatif. Majoritairement catholiques, ils se voyaient en théorie accorder le droit d’inscrire leurs enfants dans les écoles catholiques francophones.

Cependant, une réalité troublante, omise dans les programmes d’histoire du Québec et absente des discussions dans les médias, concerne le parcours des familles italiennes, y compris celle de l’auteur de ces lignes, dans le système éducatif de l’époque.

Ces familles, cherchant à inscrire leurs enfants dans des écoles catholiques francophones, se sont heurtées à un refus catégorique et ont été dirigées vers des écoles catholiques anglophones.

Il est difficile d’éviter de parler de discrimination en ce qui concerne le refus systémique d’inscrire des élèves d’origine italienne dans les écoles catholiques françaises. Bien que catholiques, les Italiens étaient perçus comme différents. Leurs noms, jugés atypiques et difficiles à prononcer, tranchaient avec ceux, homogènes, des élèves francophones dont les ancêtres remontaient à l’époque de la Nouvelle-France.

Les écoles catholiques francophones, soucieuses de préserver ce statu quo, se consacraient à l’enseignement aux descendants de la société coloniale française, qui, à cette époque, affichait le taux de natalité le plus élevé du monde occidental. Le Québec francophone de cette époque ne ressentait pas le besoin d’un renforcement démographique apporté par les élèves d’origine italienne.

Rejetés puis blâmés

Comment pouvons-nous nous étonner que, pendant les années 1970, les immigrants italiens continuent d’inscrire leurs enfants dans les écoles catholiques anglaises où ils se sentent acceptés ?

Les élèves d’origine italienne ont été rejetés par le système d’éducation catholique francophone pendant les années 1950 et 1960, pour ensuite être blâmés dans les années 1970 pour avoir nui à la langue française en ne fréquentant pas les écoles francophones, une accusation qui a coïncidé avec une baisse drastique du taux de natalité francophone attribuable notamment au déclin de l’influence de l’Église catholique et à la révolution sexuelle.

La communauté italienne, à prédominance trilingue, s’est habilement intégrée à la société québécoise et a contribué à sa prospérité.

L’expérience moins qu’accueillante du système d’éducation catholique français du Québec a été surmontée, mais pas oubliée.

À mon avis, le gouvernement du Québec devrait présenter ses excuses aux familles de la communauté italienne d’ici qui ont été empêchées de fréquenter les écoles catholiques de langue française par une pratique systémique dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale.

Le temps ne peut effacer les faits historiques ni atténuer l’injustice subie.

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