Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Le 27 décembre, l’ONU va souligner la Journée internationale de la préparation aux épidémies. C’est l’occasion idéale d’une autopsie sur l’une des leçons apprises à la dure durant la pandémie : l’utilisation des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins a mené à un accès inégalitaire entre le Nord et le Sud.

On n’a peut-être plus envie d’entendre parler de la COVID-19. Mais après toutes ces vies perdues et ces personnes malades, il est impératif de comprendre l’origine de tant d’injustices pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Car tous les experts sont d’accord, l’arrivée de la prochaine épidémie, qui deviendrait peut-être une pandémie, n’est qu’une question de temps.

En 2020, l’Afrique du Sud et l’Inde ont proposé de suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les outils nécessaires à l’endiguement, la prévention et le traitement de la COVID-19, y compris les vaccins. La proposition a été parrainée par 58 gouvernements et soutenue par 100 pays.

Mais malgré la montée des inégalités vaccinales entre le Nord et le Sud, aucune décision n’a été prise par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les États-Unis ont évité de se prononcer : jusqu’à aujourd’hui, leur position reste ambigüe. Le Royaume-Uni, la Suisse et l’Union européenne s’y sont opposés. Ces pays ont plutôt appelé à une solution enracinée dans la logique du libre marché : encourager les géants pharmaceutiques à vendre davantage de vaccins dans les marchés des pays en développement, éliminer les restrictions à l’exportation des produits nécessaires à la production des vaccins, et accorder les licences obligatoires aux pays du Sud, c’est-à-dire la possibilité de produire les vaccins sans le consentement des titulaires de brevets.

Deux ans plus tard, l’OMC a finalement accepté de déroger à certaines obligations qui restreignaient l’accès aux vaccins. Toutefois, des questions centrales sont laissées sans réponse.

Qu’en est-il des outils de diagnostic et de traitement ?

Cette décision tardive s’applique uniquement aux vaccins nécessaires pour lutter contre la COVID-19. Les autres outils de contre-mesure, comme les tests de dépistage, n’y sont pas inclus.

L’OMC était censée étendre la dérogation aux outils de diagnostic et de traitement en décembre 2022. Depuis, rien n’a bougé en raison de l’opposition américano-européenne.

Alors que cette décision ne s’applique qu’à la pandémie de COVID-19, un autre processus tout aussi complexe serait nécessaire pour les futures pandémies.

Oui pour les ingrédients, non à la recette

La production de vaccins universellement accessibles doit reposer sur la dérogation à plusieurs aspects de la propriété intellectuelle, y compris les dessins industriels, les droits d’auteur et les secrets commerciaux. Or, la décision de l’OMC promet une dérogation limitée aux brevets. Certes, la décision de déroger aux brevets est un pas nécessaire, mais elle reste insuffisante pour que les pays en développement puissent produire des vaccins contre la COVID-19.

Assurer un accès universel aux vaccins requiert non seulement une dérogation aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi la création de centres de production établis un peu partout dans le monde. Mais sans transfert technologique, aucune internationalisation de la production n’est possible.

L’Afrique, dont les populations ont été les moins vaccinées, dispose de ses propres industries pharmaceutiques. Au moins 12 centres de production de vaccins sont établis ou sont en préparation dans six pays africains, soit l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, le Nigeria, le Maroc et le Sénégal. En revanche, faute de partage de connaissances, les investissements que réalise le continent restent limités à la fabrication des vaccins.

Attention à la pensée magique

Puisque la décision de l’OMC repose sur l’utilisation des licences obligatoires, sa mise en pratique est confrontée à plusieurs difficultés.

Parfois, un vaccin contre la COVID-19 peut être protégé par plusieurs brevets détenus par différentes entités. Même avec une licence obligatoire accordée par l’un des détenteurs, rien ne peut garantir que les autres titulaires accepteraient de partager leurs brevets. Pire encore, l’univers des brevets n’est pas entièrement connu et certains brevets ne sont pas publics. Il est souvent difficile de rassembler toutes les licences nécessaires à la production, d’autant plus qu’il y a des coûts exorbitants et de longs délais de négociations qui se cachent derrière ces procédures fastidieuses.

L’usage des licences obligatoires n’est donc pas synonyme d’accès aux médicaments dans les pays en développement.

Dans sa déclaration sur la réponse à la pandémie de COVID-19 et à la préparation aux pandémies futures, l’OMC a réaffirmé que ses membres ont le droit de recourir aux licences obligatoires. Aussi louable soit-elle, cette décision est loin d’être une panacée. L’avenir nous imposera des solutions qui reconnaissent que le droit à la santé passe avant les droits de la propriété intellectuelle.

* Joanne Liu, ex-présidente internationale de Médecins sans frontières (2013-2019), Jeremy de Beer, professeur titulaire à l’Université d’Ottawa, Claude Vaillancourt, porte-parole du Réseau québécois pour une mondialisation inclusive, sont également cosignataires de cette lettre d’opinion.

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