Le 18 mai 2012, en plein cœur d’une crise sociale lancée par un mouvement généralisé de grève étudiante, le gouvernement libéral de Jean Charest adopte la fameuse loi 78 qui restreint notamment, de manière très importante, le droit de manifester au Québec et tente de briser la grève étudiante en forçant les cégeps et les universités à donner les cours coûte que coûte. Largement dénoncée par un vaste éventail d’institutions publiques et d’acteurs politiques québécois, la décision d’adopter la loi 78 va jouer un rôle majeur dans la défaite du Parti libéral lors de l’élection générale de 2012.

Profondément indignés, nous considérons que la manière avec laquelle le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait adopter successivement les projets de loi 23 (en éducation) et 15 (en santé), sur fond de gestion déficiente de la grève historique des travailleuses et travailleurs du secteur public (dont des enseignantes et enseignants et membres du personnel soignant), a tout pour devenir « la loi 78 de la CAQ ».

Un gouvernement allergique aux contre-pouvoirs

Il faut d’abord rappeler que le gouvernement de François Legault, depuis son élection en 2018, multiplie les manières de contourner les contre-pouvoirs démocratiques ou, carrément, de s’y attaquer frontalement. Citons notamment :

  • les réactions légères – c’est le moins qu’on puisse dire – des membres du gouvernement faisant l’objet d’enquêtes ou de blâmes de la part du Commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale ;
  • le recours mur à mur aux dispositions de dérogation aux droits et libertés de la personne au sein de la Loi sur la laïcité de l’État (PL 21) et de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (PL 96) ;
  • la décision de maintenir l’état d’urgence sanitaire pour faire face à la pandémie de COVID-19 sans discontinuer pendant une période de plus de deux ans (du 13 mars 2020 au 1er juin 2022) ;
  • le rythme effréné d’adoption de projets de loi importants sous bâillon au cours des neuf mois qui ont précédé le déclenchement de l’état d’urgence (laïcité – PL 21, abolition des commissions scolaires – PL 40, réforme de l’immigration – PL 9 et tarifs d’électricité – PL 34).

Mais au-delà de ces actes concrets de contournement ou d’affaiblissement des contre-pouvoirs institutionnels du Québec, il faut également rajouter les commentaires répétés de membres du gouvernement concernant l’inutilité des débats parlementaires dans le contexte où siège, à l’Assemblée nationale, un gouvernement majoritaire. Sans en reprendre la substance, on pourrait valablement résumer ces commentaires gouvernementaux par un pastiche du célèbre monologue d’Yvon Deschamps sur les syndicats : « les débats, qu’ossa donne ? », de toute manière, la décision va se prendre dans le bureau du premier ministre.

Un inacceptable dîner de cons

On l’entend et on le lit beaucoup depuis quelques années : les problèmes qui empêchent les travailleuses et travailleurs de nos établissements publics d’enseignement et de santé de faire leur travail – voire simplement de rester au sein de ces mêmes établissements – sont aussi nombreux qu’importants et exigent la mise en place de solutions concrètes qui, pour réussir, doivent avoir fait l’objet de réflexions sérieuses et collectives. Ces réflexions sont justement celles qui se déroulent dans le cadre des travaux parlementaires, une fois un projet de loi déposé et avant son adoption.

Loin d’être une « perte de temps » qui sépare le dépôt d’un projet de loi de son inévitable adoption par un gouvernement majoritaire, cette période de débats et consultations doit permettre à ce même gouvernement de s’assurer que son projet initial ne comporte pas d’angle mort ou, minimalement, apporte plus d’avantages qu’il ne cause de problèmes.

Il sollicite pour ce faire divers intervenants, organismes et personnes susceptibles d’éclairer ledit projet de loi pour s’assurer que les règles à être adoptées soient les mieux adaptées pour répondre aux besoins, aussi criants qu’urgents, de celles et ceux qui tiennent nos institutions publiques à bout de bras.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, peu après l’adoption le 7 décembre du projet de loi 23, qui réforme la gouvernance scolaire.

Bien que le gouvernement se soit prêté à ce jeu parlementaire dans les derniers mois, les intervenantes et intervenants qui ont contribué aux travaux sur le PL 23 et le PL 15 ne peuvent se sentir autrement que comme si on les avait conviés à un dîner de cons : le PL 23 a été adopté, dans la joie et la fierté des députés caquistes, alors que le gouvernement a écarté du revers de la main l’ensemble des critiques, sévères et quasi unanimes, dont il a fait l’objet ; le PL 15 a été adopté, sous bâillon, dans la rigolade des députés caquistes, alors que plus de 300 associations et organisations issues des milieux communautaire, syndical et médical ont dénoncé encore cette semaine l’absence évidente de consensus autour de cette réforme. Tout cela, sans qu’il n’y ait quelconque urgence de voir naître les nouvelles structures imaginées par le gouvernement.

Une arrogance qui ne passe plus

Au cours des derniers mois, le gouvernement Legault a largement alimenté le cynisme des Québécoises et Québécois avec des promesses rompues (bonjour, troisième lien), des décisions douteuses (bonjour, les Kings de Los Angeles) et des déclarations maladroites montrant sa déconnexion avec la population.

Alors qu’une très large proportion de la population soutient les 600 000 travailleuses et travailleurs qui mènent une grève historique pour défendre les services publics, l’arrogance dont le gouvernement caquiste a fait preuve dans le processus d’adoption de ces réformes majeures des réseaux de l’éducation et de la santé risque fort de le mener à sa perte.

Monsieur Legault, le peuple québécois croit encore en la démocratie et celle-ci, ne vous en déplaise, ne se résume pas au simple fait de voter, une fois tous les quatre ans.

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