(Québec) Avec le conflit de travail qui se poursuit entre le gouvernement Legault et les enseignants des écoles publiques, des intervenants qui luttent contre le décrochage scolaire – et qui se disent solidaires des revendications des profs sur les lignes de piquetage – s’inquiètent des répercussions d’une grève aussi longue pour les élèves les plus vulnérables.

Marc-Étienne Kettenis, 15 ans, est élève en quatrième secondaire à l’école du Versant, à Gatineau. Passionné des communications, il parle avec une énergie contagieuse de son rêve de poursuivre ses études au cégep du Vieux Montréal en concentration cinéma. Mais pour être accepté dans un programme contingenté, il doit d’abord obtenir de bons résultats à ses examens du Ministère. Un défi de taille pour ce jeune ayant un trouble de l’attention et qui craint déjà l’ampleur de la tâche pour réussir son épreuve finale en mathématiques.

« Avec la grève, ça fait un bout qu’on n’est pas allés à l’école. J’ai essayé d’amener un cahier d’exercices à la maison, mais mon père a beau avoir de la facilité, il n’est pas non plus un prof de math. Pour moi, [cette pause d’école] me crée un retard sur les autres [et je me questionne] si je vais en sortir perdant », dit-il.

À ses côtés, Benjamin Dumont, directeur de la maison des jeunes La Saga et père de deux enfants âgés de 11 et 14 ans, ajoute que le conflit de travail qui paralyse les écoles publiques est une tuile de plus qui s’abat sur les jeunes de la région de l’Outaouais.

« Il y a eu la COVID, c’était long, puis l’été dernier, nous avons eu le nuage de fumée qui arrivait d’Abitibi. Plusieurs activités de fin d’année ont été annulées. Et là, boum, ça tombe avec la grève », dit-il, précisant qu’il appuie malgré tout le combat des enseignants.

Les ados sont laissés à eux-mêmes. [Et comme] chaque fois, c’est le communautaire qui pallie les problématiques du gouvernement. À Québec, on ne se rend pas compte de tout le boulot qu’on fait en étant sous-financés. Si on décidait de fermer, le gouvernement serait dans la merde.

Benjamin Dumont, directeur de la maison des jeunes La Saga

Des jeunes anxieux

Maud Tremblay, coordonnatrice-intervenante au Centre Solidarité Jeunesse, un organisme qui lutte contre le décrochage scolaire à Québec, constate à son tour que les jeunes sont inquiets des répercussions de cette pause d’école qui s’étire cet automne.

« Les jeunes que l’on croise vivent des inquiétudes concernant le retour [en classe]. Certains se posent la question s’ils devront reprendre tout ce qu’ils ont manqué. On leur dit que ça va se faire de façon bienveillante. On est là pour les rassurer », explique-t-elle.

Dans les écoles, poursuit Mme Tremblay, des jeunes qui connaissent des difficultés voient une différence entre les enseignants qualifiés et ceux qui ont rejoint le réseau sans brevet, dans le contexte où les centres de services scolaires ne parviennent plus à pourvoir tous les postes. Elle souhaite que les négociations se terminent en rehaussant l’attractivité de la profession.

La directrice générale du Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage, Mélanie Marsolais, souligne pour sa part que « le risque de décrochage n’est pas tant associé [à la grève], mais plutôt aux conséquences néfastes du manque de ressources dans le réseau depuis des années ».

« C’est extrêmement important de se rendre compte aussi que le conflit va accroître les inégalités, parce que les jeunes qui ne sont pas dans une école publique poursuivent [à ce jour] leur scolarité. Nous, on est là pour nous assurer que l’école publique soit renforcée », dit-elle.

Comment planifier la suite ?

Isabelle Plante, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les différences de genre à l’école, considère qu’il est plus que temps que les conditions de pratique des enseignants s’améliorent et qu’ils obtiennent du soutien en classe. Toutefois, la longueur du conflit pose des risques pour les élèves vulnérables.

« Je crois qu’il y a lieu de s’inquiéter pour les élèves les plus à risque, car ce sont typiquement eux qui subissent les coûts associés aux interruptions scolaires. Par exemple, la “glissade estivale”, qui réfère à la perte des acquis durant l’été, est un phénomène beaucoup plus prévalent et marqué chez les jeunes qui sont plus faibles à l’école », explique-t-elle.

De plus, le décrochage est souvent précédé d’évènements de vie qui précipitent la décision d’abandonner, et un arrêt prolongé pourrait, en ce sens, agir comme déclencheur du décrochage.

Isabelle Plante, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM

Sur le moyen terme, en prévision de l’été prochain, Mme Plante considère qu’il faudra offrir des services supplémentaires aux enfants ayant des troubles d’apprentissage pour rétablir une équité entre ces élèves vulnérables, qui auront été particulièrement affectés par la grève, et ceux qui ont de la facilité à l’école.

À Gatineau, le jeune Marc-Étienne Kettenis ne demande que ça, de l’aide, pour rattraper ses retards dans les matières plus difficiles.

« J’ai déjà un plan d’intervention. Dans un monde idéal, j’ai le droit à des ressources supplémentaires. Mais [d’y avoir accès], c’est toujours plus difficile, parce qu’on a dans l’école beaucoup de besoins et pas le personnel nécessaire pour le nombre de personnes qu’on est », déplore-t-il.

Malgré tout, pas question pour lui d’abandonner son rêve. « Montréal, c’est la place du cinéma, c’est le lieu pour la télé, c’est le Quartier des spectacles. Toutes les grandes stations de télé sont là. C’est pour ça que je voudrais aller étudier là. Pour faire acteur, ou être en arrière-scène », rêve-t-il.