C’est souvent à coup de scandales que le sport professionnel évolue. Que des comportements socialement inadmissibles, pourtant tolérés dans certains circuits ou ligues, cessent enfin. Or, il arrive encore malheureusement que des actes répréhensibles d’athlètes célébrés aux quatre coins du monde passent sous le radar.

Le cas d’Alexander Zverev, qui a perdu en finale dimanche à Roland-Garros, est un exemple frappant. Le numéro 4 du tennis mondial n’aurait pas dû jouer ce Grand Chelem à Paris. Pourquoi ? Voici les faits.

En octobre dernier, le joueur de tennis a été accusé au criminel en Allemagne d’avoir causé des lésions corporelles à son ex-conjointe en mai 2020.

Selon le tribunal allemand, il aurait « brièvement étranglé sa conjointe de l’époque par le cou avec ses deux mains », lui « causant de l’essoufflement et beaucoup de douleur ».

Au Québec, c’est l’équivalent d’une accusation de voies de fait et d’étranglement.

Le procès criminel d’Alexander Zverev a débuté durant Roland-Garros. En Allemagne, pour des infractions criminelles de gravité moyenne comme celle-ci, l’accusé n’est pas obligé d’assister à son procès s’il est représenté par un avocat.

Vendredi, le procureur allemand a retiré les accusations criminelles à la suite d’une entente à l’amiable approuvée par le tribunal. Alexander Zverev et son ex-compagne ont conclu une entente « pour résoudre pacifiquement ce conflit » dans « l’intérêt de leur enfant », a dit une porte-parole du tribunal à l’Agence France-Presse. L’athlète accepte aussi de payer 200 000 euros à des organismes de bienfaisance sans admettre sa responsabilité.

Si ce revirement de situation vous semble étrange, c’est normal. Au Québec, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne peut pas conclure ce genre d’entente avec un accusé. « La justice criminelle allemande permet ce type d’entente avec le procureur. On juge que le paiement de cette somme réduit l’intérêt public de poursuivre le procès », dit Kirstin Drenkhahn, professeure de droit criminel à l’Université libre de Berlin.

Aux yeux de la justice criminelle allemande, Alexander Zverev reste innocent et n’a pas de dossier criminel.

Fin de l’histoire ?

PHOTO STEPHANIE LECOCQ, ARCHIVES REUTERS

Alexander Zverev lors d’un match aux Internationaux de France, mercredi dernier

Ça dépend de votre niveau de tolérance par rapport aux allégations de nature criminelle.

L’ATP, le circuit de tennis professionnel, a été, lui, extrêmement tolérant. Il a même fait preuve d’aveuglement volontaire.

Je ne connais pas d’autre circuit sérieux de sport professionnel qui permet à l’un de ses athlètes de pratiquer son sport alors qu’il fait face à de telles accusations criminelles. L’ATP devrait avoir honte de sa gestion du dossier depuis octobre.

Bien sûr, la présomption d’innocence est un principe cardinal de notre société en droit criminel, mais elle ne signifie pas qu’on peut bénéficier de passe-droits en matière disciplinaire ou en droit du travail.

Pour qu’un procureur dépose des accusations criminelles, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable qu’une infraction a été commise et qu’il pourra en faire la preuve devant le tribunal. La barre est placée très haut en droit criminel, avec raison. En droit disciplinaire et du travail, on doit plutôt prouver les faits selon la prépondérance de preuve (la preuve « 50 % + 1 »).

Sur le plan disciplinaire, les joueurs de tennis professionnels doivent respecter une série de règlements s’ils veulent jouer sur le circuit professionnel. Ne pas se doper. Ne pas parier sur les matchs. Ne pas tricher. Ne pas se conduire de façon à « endommager gravement la réputation du sport ».

Le code de conduite de l’ATP prévoit qu’un joueur accusé ou condamné pour une infraction civile ou criminelle peut être suspendu jusqu’à trois ans. Le code prévoit la possibilité d’une suspension temporaire durant les procédures judiciaires.

Dans le dossier Zverev, l’ATP n’a pas encore lancé d’enquête disciplinaire. « Nous prenons acte du souhait des deux parties de considérer cette affaire comme close. Séparément, nous rassemblons et examinons toutes les informations divulguées dans le cadre de la procédure judiciaire », a indiqué l’ATP vendredi. Évidemment, l’ATP ne peut pas forcer une présumée victime à participer à une enquête disciplinaire.

En 2021, l’ATP avait ouvert une enquête disciplinaire sur Alexander Zverev en rapport avec des allégations de violence conjugale de la part d’une autre femme. L’ATP a fermé ce dossier après 15 mois d’enquête pour cause « de preuve insuffisante ».

S’il jouait au hockey ou au baseball, Alexander Zverev aurait cessé de pratiquer son sport dès le dépôt des accusations criminelles.

Dans la Ligue nationale de hockey, les quatre joueurs accusés d’agression sexuelle à London ont quitté leur équipe (en congé avec solde) dès le dépôt des accusations. On ne les reverra pas sur la glace avant la fin du procès. Certes, leur crime (agression sexuelle) est plus grave. Mais on parle d’accusations criminelles dans les deux cas.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Milan Lucic, alors qu’il s’alignait avec les Bruins de Boston en 2013.

L’automne dernier, le joueur des Bruins de Boston Milan Lucic a été accusé au criminel de violence conjugale. Il a pris un congé indéterminé et n’a pas rejoué dans la LNH depuis. Le procureur a retiré les accusations quelques mois plus tard.

Le baseball majeur prend l’enjeu de la violence conjugale très au sérieux.

Sa politique de tolérance zéro est claire. S’il y a des allégations, le baseball majeur fait une enquête disciplinaire. Si un joueur contrevient à la politique, il est sanctionné.

C’est ainsi que le baseball majeur a suspendu une vingtaine de joueurs pour violence conjugale, même si la plupart n’ont pas été accusés au criminel. Certains ont rejoué dans le baseball majeur après leur suspension, d’autres non.

L’idée n’est pas de bannir un athlète à vie chaque fois que des allégations font surface. Celles-ci doivent être prouvées à la prépondérance de preuve. Les personnes visées ont le droit de se défendre. Et s’il y a sanction, « elle doit être proportionnelle à l’infraction », rappelle Benoit Girardin, avocat en droit du sport.

Être un athlète professionnel n’est pas un emploi normal. Et ne pas commettre des gestes criminels est l’une des conditions pour exercer ce métier. Après tout, ces sportifs sont des modèles. Leurs faits et gestes influencent des milliers de personnes.

Un circuit professionnel sérieux doit suspendre un athlète accusé au criminel et mener une enquête disciplinaire en parallèle.

Ça nous rappelle que l’ATP n’a pas de politique spécifique contre la violence conjugale.

Pour en adopter une, le circuit devrait en principe consulter le Conseil des joueurs.

Qui est l’un des 11 membres du Conseil ? Alexander Zverev.

Ça ne s’invente pas.

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