Après 34 ans de réveils avant l’aube, dont 20 ans au 98,5, Paul Arcand quittera la barre de Puisqu’il faut se lever ce vendredi 14 juin. Des dizaines de milliers d’auditeurs sont déjà déstabilisés. Ça fait des mois que nous anticipons le départ de notre animateur chéri, qui prendra sa retraite de l’animation quotidienne. Déjà qu’on avait eu toute une frousse en novembre dernier quand il s’était absenté quelques semaines pour des problèmes de santé. Nous avions entrevu ce que serait le réveil sans lui…

Paul. MON Paul Arcand, comme celui de hordes d’auditeurs. Parce qu’on communie avec lui. Tandis que les ministres, responsables et autres porte-parole qui ont affaire à lui tous les matins se gardent une petite gêne mi-apeurée, mi-respectueuse, et lui donnent du Monsieur Arcand gros comme le bras.

C’est une star, que tout le monde connaît, un homme influent, pourtant discret. Il ne sort pas souvent de sa tanière, a animé quelques émissions de télé, mais il fuit les entrevues et les talk-shows, est réservé sur sa vie privée. Ce qui est rare.

La radio est devenue un média de vedettes, et les émissions matinales n’y échappent pas.

En ce sens, il a su conserver l’essence, la particularité de ces émissions. Une voix rencontre une paire d’oreilles.

Un animateur parle à des milliers d’auditeurs, mais s’adresse à UNE personne à la fois, qu’elle soit un automobiliste coincé sur le pont de l’Île-aux-Tourtes, un parent qui court déjà, pressé par sa routine dans une cuisine de Terrebonne, ou un camionneur qui s’apprête à affronter les sens uniques de Montréal.

L’auditeur du petit matin est particulier, très sensible à ces voix qui l’accompagnent dans sa vulnérabilité de tout début de journée. Il est sans armure, encore imbibé des brumes du sommeil. Paul Arcand s’adresse à un public majoritairement issu du 450, donc très tôt sur la route vers le travail, vaillant et stressé. Sa présence bourrue donne le ton à sa journée, de Pointe-aux-Trembles à Mirabel, de La Prairie à Varennes. En ne cédant pas à la starification malgré son statut, Paul est un membre de la famille, un des nôtres.

Pas pour rien qu’il est le roi des ondes.

Son style est direct, sans flafla. Rugueux mais pas râleur, il nous tire du lit avec fermeté, sans mièvrerie. Ce n’est pas Monsieur Sourire, mais il est amical avec son équipe bien-aimée, ricaneur et lousse le vendredi avec ses parodies chantées de l’actualité. Il talonne ses invités politiques, est pugnace dans ses questions, mord quand il le faut, et sait brasser les bullshiteux. On l’a entendu répondre : « Ça m’étonnerait » à un fonctionnaire qui lui avait dit, tremblant, après une entrevue musclée : « Ça m’a fait plaisir… »

Avec ses entrevues serrées et pertinentes, il s’est fait la voix du citoyen. On peut affirmer qu’il a, à sa manière, fait progresser la démocratie. Sa revue de presse de 6 h mettait la table : c’était son éditorial du jour. Avec la chronique politique de Jean Lapierre et ses successeurs, il dressait l’ordre du jour politique.

Son obsession pour les faits divers traduit ce qu’ils sont devenus : des faits de société qui nous en apprennent sur le corps social.

J’ai eu le privilège de collaborer avec lui. À partir de 2009, pendant quatre ans, j’ai fait la Commission Bazzo-Dumont. Paul avait eu cette riche idée de réunir deux commentateurs que tout opposait pour jeter un regard croisé sur l’actualité quotidienne. Ce furent de riches discussions en ondes, des fous rires avec Mario et l’équipe en régie, mais surtout, le bonheur de voir travailler Paul de l’intérieur. Il aura eu du flair et aura inventé ce qui est aujourd’hui un format de débat incontournable des émissions du matin. Il a fait école.

Quand je lui ai annoncé en 2013 que j’allais animer l’émission du matin d’en face, à la Première Chaîne, il a été super élégant. Il savait bien qu’il dominait outrageusement le marché, mais m’a sincèrement souhaité le meilleur. Nous avons maintenu le contact. Je le vois encore comme un grand frère de radio, de qui j’ai énormément appris. J’ai été une auditrice, une fan, une collaboratrice heureuse et une compétitrice qui l’admirait encore.

Arcand part en pleine gloire. Au sommet de son art et de ses cotes d’écoute. Il est LA locomotive du 98,5, celui qui y fait rentrer le cash et sur qui s’appuie l’architecture du reste de la programmation. Ce ne sera pas une mince affaire que de maintenir le train sur des rails aussi prospères. Souhaitons bonne chance à Patrick Lagacé.

C’est une nouvelle ère qui commence, dans un contexte où la radio parlée se cherche.

Ces années-ci, toute une génération s’en va, la fracture générationnelle se fait sentir, tant à l’animation que dans les habitudes d’écoute. Les émissions sont de plus en plus nichées, la radio traditionnelle est challengée par les émissions balados. L’humour triomphe partout, la radio musicale a le vent en poupe. On veut la paix entre les deux oreilles. Il devient plus ardu de faire de la radio parlée un rendez-vous consensuel.

Paul Arcand va clore une époque, vendredi.

Nous pourrons écouter sa balado comme une doudou un peu nostalgique. Mais jamais, JAMAIS cet homme ne pourra faire la grasse matinée, tant son être est rompu à l’habitude de se lever trop tôt. Il est condamné à voir le soleil se lever.

Merci, Paul. Respect.

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