« Nous serons de retour dimanche prochain, car si c’est dimanche, c’est Meet the Press. » Cette phrase célèbre est répétée à la fin de chaque épisode du rendez-vous dominical du réseau NBC, et ce, depuis 1947. Aucune émission n’a été en ondes plus longtemps à la télévision américaine que Meet the Press.

L’émission traite de politique et ses invités sont des élus, des journalistes, alors évidemment, elle ne plaît pas à tout le monde. L’animatrice Kristen Welker, comme ses prédécesseurs, est souvent critiquée. Elle est trop complaisante pour certains, trop agressive pour d’autres et trop woke pour ceux qui, manifestement, utilisent le mot allégrement sans savoir ce qu’il veut vraiment dire.

Meet the Press, malgré son statut enviable à la télévision, divise les gens.

« Puis-je acheter une voyelle, Pat ? »

Je ne connais pas Pat Sajak personnellement, mais c’est tout comme. D’abord, parce que je l’aime bien et, depuis un très jeune âge, je le regarde à la télévision plusieurs fois par semaine. Ce vendredi, il prend sa retraite de Wheel of Fortune – qu’il anime quotidiennement depuis 1981. Il aura été, pendant plus de 40 ans, le visage de cette émission où le défi est de découvrir des mots, des noms propres et des expressions en devinant des consonnes et des voyelles. Pour moi, il s’agit d’un exercice de grande humilité. (Très) rarement ai-je réussi à élucider l’un des casse-têtes proposés. C’est pour cela, en partie, que je suis si souvent au rendez-vous. « Un jour, je serai meilleure », me dis-je. Mais mon affection pour Pat Sajak dépasse mon incapacité à deviner les mots cachés et elle se traduit en loyauté.

Je ne suis pas la seule. Chaque jour, aux États-Unis, ils sont un peu plus de 8 millions d’Américains à suivre Pat Sajak et son acolyte de toujours, l’intemporelle et élégante Vanna White – qui dévoile les lettres devinées par les participants.

PHOTO FOURNIE PAR ABC

Vanna White

Dans le monde, 13 pays diffusent leur propre version de l’émission. De l’Arabie saoudite à l’Espagne, du Brésil à la Pologne, entre autres. Même le Québec a eu sa version. Au Canada, la télévision de la CBC a longtemps diffusé l’émission originale. Aujourd’hui, au pays, il faut passer par une chaîne câblée américaine pour la voir. Mais comment expliquer l’amour collectif pour Pat Sajak, pour l’endurance de Wheel et son format de télévision pourtant assez simple ?

C’est peut-être parce qu’on ne sait pas si l’enjoué animateur est démocrate ou républicain. Ou plutôt, on ne veut pas vraiment le savoir. Pat Sajak n’a jamais utilisé sa tribune à la télé pour se prononcer sur les enjeux sociaux.

En privé, c’est un peu différent. Certains de ses discours prononcés lors de collations des grades dans des universités conservatrices, par exemple, sont tendancieux. Et, une photo datant de 2022 dans laquelle Sajak est aux côtés de l’ignoble élue de la droite dure et reine de la désinformation Marjorie Taylor-Greene fait grincer des dents.

Mais est-ce important, pendant les 30 minutes que dure chaque émission ? Ne méritons-nous pas au moins cette détente apolitique à la télévision, pour oublier le cycle des nouvelles accablantes ? Tout est de plus en plus politique – je ne m’en plains pas, cela me passionne.

Sans le savoir et certainement sans le vouloir, Pat Sajak a été notre prêtre, notre imam, notre rabbin. L’émission est un sanctuaire pour tous. Un refuge après une journée effrénée.

Wheel of Fortune, avec son statut enviable et sa simplicité, rassemble.

Et en plus, l’émission fait œuvre utile. Des immigrants, par exemple, ont témoigné avoir appris l’anglais en la regardant. Un pouvoir qu’ont en commun plusieurs quiz télévisés.

Je parle souvent de la responsabilité civique qui vient avec l’influence. Celle d’être engagé, de dénoncer, de fédérer. Mais tout cela est un choix et non une obligation. Et cette responsabilité peut aussi être celle de guérir et de réconforter. À sa manière, c’est un peu ce que Pat Sajak a fait, chaque soir, pendant plus de 40 ans. Oublions les leaders spirituels. Pat Sajak a été notre « bouillon de poulet ».

Même si les 8 millions de téléspectateurs américains sont bien peu nombreux en comparaison des 40 millions qui étaient au rendez-vous dans les années 1980, le chiffre impressionne toujours, surtout que la formule de l’émission n’a pas changé. L’écosystème télévisuel, lui, est pourtant en mutation depuis les débuts de Wheel. La compétition est différente, féroce. Aujourd’hui, c’est Pat Sajak contre Logan Roy de Succession sur HBO ou Sajak contre un accès total aux Beckham sur AppleTV+. La légèreté contre le cynisme et le superficiel.

Le succès de Wheel of Fortune et la popularité de son animateur m’auront rappelé que la valeur sociale de la télévision est réelle et elle perdure, même si le paysage et les façons de la consommer sont en constante évolution.

La télévision est aussi souvent un miroir de la société. Vanna White a prolongé son contrat et elle restera encore deux ans, dans son rôle crucial, aux côtés du nouvel animateur. Ce contrat sera accompagné d’une importante augmentation de salaire. Vanna White n’y avait pas eu droit depuis près de 20 ans. Il n’est jamais trop tard pour se faire payer à sa juste valeur.

Ils m’auront aussi rappelé que je n’ai pas à être d’accord avec les idées de Pat Sajak pour l’apprécier dans son rôle d’animateur. Cette combinaison est possible. Les attentes que nous avons envers les personnalités publiques ne doivent pas être les mêmes que nous avons envers les élus. Ces personnalités n’ont pas à être tout, tout le temps, pour tout le monde. Il ne faudra pas l’oublier lorsque Ryan Seacrest prendra les rênes de l’émission, au début de la prochaine saison.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue