Ce titre cinglant ne vous vise pas, chers lecteurs. Je cite le mot célèbre de James Carville, stratège de Bill Clinton durant la campagne de 1992 contre George Bush père, qui sollicitait un second mandat, au moment où l’économie battait de l’aile.

Aujourd’hui, l’économie américaine connaît un boom, mais plus de la moitié des Américains croient qu’elle est en récession et blâment le président Biden.

Un sondage Harris pour The Guardian révèle que 55 % des Américains croient que l’économie se contracte, alors que la croissance devrait se chiffrer à 2,5 % cette année, d’après la prévision médiane des économistes1.

La moitié des répondants estime que le chômage est au plus haut depuis 50 ans, alors qu’il est au plus bas, sous les 4 % depuis presque deux ans et demi. La moitié pense que l’indice S&P 500 est en baisse depuis le début de l’année, alors qu’il touche un sommet.

La vaste majorité (72 %) des répondants pensent que l’inflation s’accroît, alors qu’elle a dégonflé des deux tiers, de 9 % après la COVID-19 à un peu plus de 3 %. Ils ne saisissent pas que quand l’inflation recule, les prix augmentent moins rapidement, mais ne baissent pas.

Ces perceptions erronées s’expliquent par une méconnaissance de l’économie, mais aussi par le fait que les Américains ont chaussé des lunettes idéologiques qui déforment la réalité.

À preuve, le pourcentage des électeurs républicains qui pensent que l’économie s’améliore a chuté comme une pierre de 64 % à 6 %, entre le moment où Donald Trump a perdu l’élection en novembre 2020 et l’inauguration de Joe Biden, en janvier 20212.

Selon un récent sondage Pew, à peine 10 % des électeurs républicains pensent que la situation économique est présentement bonne ou excellente, contre 37 % pour les démocrates. Pourtant, les uns et les autres (autour de 40 %) s’accordent à qualifier de bonne ou excellente leur situation financière personnelle3.

Des observateurs ont nommé « vibecession » ce vague à l’âme nourri d’impressions et de sentiments déconnectés de l’économie réelle.

L’économie pèse lourd dans les campagnes électorales. Mais elle n’est pas toujours déterminante.

La plupart des études démontrent que les perceptions de l’économie influencent le vote, mais leurs avis diffèrent sur la manière. L’école dominante souligne que les perceptions sont influencées par l’identification partisane. L’autre camp ne le nie pas, mais estime que les électeurs peuvent néanmoins faire une évaluation rationnelle des conditions objectives de l’économie.

L’enquête Pew montre que les Américains restent traumatisés par l’inflation. La Fed aussi, car elle repousse la baisse des taux d’intérêt, tant que l’inflation piétine à 3 %, plutôt qu’à sa cible de 2 %, car l’économie roule encore trop vite ! Or, des taux élevés découragent l’achat de maisons et de voitures, ce qui alimente le mécontentement.

En revanche, la majorité des Américains – comme des Canadiens d’ailleurs – ne sont pas conscients que la progression de leurs revenus a plus que compensé l’augmentation des prix depuis la pandémie. Et c’est encore plus vrai pour le quart de la population le plus pauvre que pour le quart le plus riche, calcule la Fed d’Atlanta.

Selon le Fonds monétaire international, les États-Unis généreront cette année 26,5 % du PIB mondial, la proportion la plus élevée depuis presque deux décennies. Le PIB de la Chine, bonhomme Sept-Heures des républicains et des démocrates, équivaudra à 64 % du PIB américain, contre 67 % en 2018.

L’Amérique demeure la première puissance économique mondiale, quoi qu’en dise Donald Trump avec son mantra « Make America Great Again ».

Certes, les fausses perceptions sont propagées par les médias sociaux, mais aussi traditionnels, devenus plus militants. Sans compter le filtre de la nouvelle : une hausse du prix de l’essence fait toujours la manchette, alors qu’une baisse passe souvent sous silence.

Les électeurs ont la mémoire courte. Beaucoup ont oublié les énormités de Trump ou y sont devenus insensibles. Peut-être que le mauvais souvenir de l’inflation va s’estomper à l’automne, quand la campagne électorale battra son plein.

À 80 ans, James Carville reste présent dans le paysage médiatique avec ses mots crus, ses cotons ouatés et sa casquette de baseball, mais il ne parle plus d’économie. Il houspille Trump, mais ne ménage pas Biden, qui ne parvient plus à convaincre la coalition qui lui a ouvert les portes de la Maison-Blanche, notamment les hommes noirs. Il traîne derrière Trump dans cinq des six États clés.

Biden ne tire pas de bénéfice d’une économie florissante. Les électeurs se soucient d’avortement, de sécurité publique, de drogues, d’immigration et de racisme, mais à mon goût, ils ne sont pas assez conscients de la menace autoritaire de Trump.

L’enjeu de cette élection, c’est la démocratie, stupide !

1. Lisez le texte « US economy going strong under Biden – Americans don’t believe it » sur le site du Guardian (en anglais) 2. Lisez le texte « Two parties with two views of the American economy » sur le site YouGov (en anglais) 3. Consultez le sondage Pew (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue