Ralentir, je n’ai jamais su faire. Et je n’en ai jamais eu le goût, à vrai dire. La vie m’a toujours beaucoup excité. Ne rien manquer, tout essayer. Mais quand je regarde en arrière, j’en suis maintenant essoufflé, juste à y penser.

Ralentir, pour moi, a longtemps été incarné par un lieu : la campagne provençale. Par l’œuvre de Marcel Pagnol, et ce qu’en a fait le cinéaste Claude Berri, ou par un livre, Une année en Provence, de Peter Mayle.

L’environnement paradisiaque, les décors fusionnés à la chaleur, le rythme, les silences, sur bruits de fond des bestioles qui y crèchent, cigales et volatiles.

Je m’y transportais en pensée, et me sentais ralentir, en tout. Je l’ai plus tard sillonnée, j’aurais voulu y vivre, expérimenter sa paresse.

On a les exemples de son âge.

PHOTO VIOLETTE FRANCHI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Domaine viticole à Crestet, en Provence

Curieusement, ce verbe, ralentir, s’est aussi symbolisé, pour un moment, dans la nuit africaine. Faudrait que j’en discute avec Boucar Diouf.

Au Niger, la profondeur et l’étendue du ciel, un dôme sur le Sahel, un déploiement sans taches, envoûtant, qui appelle à breaker sec !

Cette impression d’accès au cosmos qui tétanise, vous fait petit, petit, petit, remet en question les notions de temps, et surtout, votre agitation ici-bas.

Révélation du troisième type, suivie de quelques jours épiphaniques, une dialyse psychologique à interroger mes ambitions. Mais la passade ésotérique fut brève, et j’ai recommencé à tourbillonner… seigneur !

Autrement, une première journée d’un voyage de travail, au Gabon. Dans la capitale, Libreville : une tâche à accomplir, un horaire à respecter.

Je démarre, on fait ça à pied et je me mets à marcher, à ma vitesse habituelle, je vous laisse deviner. Dix minutes et j’étais complètement détrempé ! Alors, j’ai compris l’usage : ralentir, et adopter « le petit pas gabonais ».

J’ai aussi vraiment eu le goût de lever le pied à la fin de la mairie de Québec.

Sachant que ça achevait, et que la politique était terminée pour moi, j’ai trouvé l’idée heureuse, apaisante. Mais confusion des genres, dans les faits, pour moi, ralentir voulait dire dormir.

Requinqué, je tente encore d’intégrer que j’ai ce droit : prendre mon gaz égal. Ça viendra, je suppose…

Parlons plutôt d’un droit à la délinquance, et son comble, je dirais, c’est un petit-déjeuner à 10 h 30 en vous zigonnant une chronique, au Café Krieghoff, à Québec, l’antre réputé du flâneur.

Ralentir a aussi un grand vice : la disponibilité.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le Café Krieghoff, à Québec

J’ai toujours aimé les emplettes, les petites listes, faire le marché, les produits m’intéressent. Mais ces petites listes s’emballent depuis une couple d’années, on frise l’abus de mon temps, et de mon expertise.

Bien que dépassé le jeu de base, j’atteins rapidement mon niveau d’incompétence. Ainsi, je frappe un mur quand on me demande, par exemple, de trouver du safran américain. Du safran américain ?

Quand cela m’est arrivé, j’ai erré entre les étalages un temps fou. Des clients, constatant l’ex-maire les yeux hagards, désemparé comme un pauvre hère dans la cité, m’ont même pris en pitié en m’offrant de l’aide. Mais la singularité de la requête est aussi venue à bout de leur sollicitude.

Le cas s’est réglé par lui-même quand, un jour, sur une commande de courgettes, je suis revenu avec des courges Butternut et spaghetti. Depuis, c’est retour au jeu de base sur les petites listes…

Quand j’y réfléchis bien, il y a peut-être un autre endroit où je peux perdre la carte et débrancher : en voyage, visiter de très vieilles églises, en Europe, par exemple. Je sais, c’est commun.

Évidemment, chicken, je me paye chaque fois deux ou trois lampions. On ne sait jamais quand cela pourrait être utile, les voies du Seigneur sont impénétrables…

Et là, je m’écrase sur un banc, imprégné, je m’évapore et ne suis plus décollable. Et s’il faut qu’en plus un groupe de chant grégorien y répète, je fonds et donne rendez-vous aux anxieux qui m’accompagnent dans une heure ou deux, quelque part.

L’effet du sacré sur une culture judéo-chrétienne, sans aucun doute.

Avec un très bon film, aller au cinéma demeure dans mes meilleurs moments de paralysie. Tellement harponné par ce que j’ai vu que parfois, en sortant, il m’arrive de ne plus trouver instinctivement la sortie, ou mon véhicule dans le stationnement, et quand je le retrouve, je dois utiliser Google Maps pour retrouver mon chemin.

Pour un partenaire de sortie qui ne sait pas, mon égarement est inquiétant, jusqu’à suspecter l’AVC, ou la sénilité…

Plus jeune, travaillant à fond comme attaché politique, j’ai misé sur un cours de cuisine pour me changer les idées, briser la cadence et me calmer, un peu. Mais rater mes sauces béchamel à répétition m’a tellement fait rager que je n’ai pas vraiment atteint mes objectifs.

Cela dit, mon passage dans la cantine ne fut pas complètement vain, et je promets depuis des décennies à mes enfants de leur mitonner une tarte Tatin. Ils attendent encore. Patience, l’espoir alimente la foi, et il ne faut jamais manquer de projets. (Ben oui, toé !)

Bref, ralentir m’a toujours paru une drôle d’idée, une idée de vieux, comme moi. Mais l’avoir compris, peut-être aurais-je moins cabossé ma vie…

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Entre nous

Pour ralentir.

Un superbe spectacle de théâtre ambulatoire, à Québec : Où tu vas quand tu dors en marchant… ?. Unique1 !

Un très bon roman : Le photographe d’Auschwitz, de Luca Crippa et Maurizio Onnis. Basé sur les années dans ce camp d’extermination de Wilhelm Brasse, un photographe qui y a capté les horreurs pour l’éternité.

Et de l’excellent théâtre : Une voix pour être aimée : Maria Callas. Avec Sophie Faucher et Marc Hervieux complètement dans leur élément, sur la coche2 ! Et un cours d’histoire sur la cantatrice.

1. Consultez la page de la pièce Où tu vas quand tu dors en marchant… ? 2. Consultez la page de la pièce Une voix pour être aimée : Maria Callas