La décision des deux candidats à la présidence américaine de débattre deux fois hors du cadre « officiel » de la Commission sur les débats présidentiels1 – qui organisait les débats depuis 1988 – pourrait bien avoir un effet au Canada.

Il existe au Canada une Commission des débats des chefs, une initiative du gouvernement de Justin Trudeau, instaurée par décret en 2018 pour organiser les débats de la campagne électorale de 2019. Avant cette date, les débats étaient organisés par un consortium des diffuseurs, privés et publics.

Les cotes d’écoute des débats des chefs au Canada étaient constamment en baisse depuis un record établi en 1979, où 7,5 millions d’auditeurs étaient devant leur télé lors du débat en anglais, soit à peu près la moitié de tous les électeurs anglophones. La baisse des cotes d’écoute était moins prononcée, mais quand même réelle, du côté francophone.

Il est vrai que les débats du consortium des diffuseurs étaient hautement formatés et, pour tout dire, assez peu intéressants. On y avait beaucoup plus droit à des monologues de la part de chacun des chefs, avec assez peu de véritables interactions.

Il y a eu, bien sûr, quelques exceptions. En 1984, Brian Mulroney avait remporté le débat en accusant John Turner de patronage pour avoir nommé plusieurs vieux libéraux au Sénat. « Vous aviez le choix » était la phrase qui avait été retenue dans tous les médias.

Au scrutin suivant, en 1988, Turner lui avait rendu la monnaie de sa pièce, accusant Mulroney d’avoir « vendu » le Canada aux Américains avec l’accord de libre-échange. Mais cela ne devait pas être suffisant pour lui faire gagner les élections.

En 1993, Lucien Bouchard avait décontenancé Kim Campbell en lui demandant plusieurs fois quel était le chiffre du déficit fédéral, puisqu’il devait être connu à ce moment-là.

Puis, en 2011, c’est le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, qui avait fait les manchettes en accusant le chef libéral, Michael Ignatieff, d’être le député le plus souvent absent des travaux de la Chambre des communes. « Quand on ne se pointe pas au travail, on ne mérite pas de promotion. »

Les débats étaient devenus un concours de qui aurait la meilleure petite phrase assassine, qui va jouer en boucle aux bulletins de nouvelles. On y apprenait peu de choses, mais on pouvait y voir des politiciens qui avaient appris par cœur leurs « petites phrases ». Pour le reste, les électeurs devaient rester sur leur faim.

Mais le problème de la nouvelle Commission, c’est qu’on ne lui a pas donné le mandat de changer la formule. Dans le communiqué annonçant sa création, le gouvernement précisait que « la Commission a pour objectif de faire des débats un volet plus prévisible, fiable et stable des campagnes électorales fédérales ». Bref, de faire la même chose qu’avant.

Pendant ce temps, des diffuseurs, des groupes et des médias ont commencé à organiser leurs propres débats. Cela a commencé en 2012 avec le réseau TVA, lors des élections québécoises, qui a quitté le consortium pour organiser son propre débat « Face-à-face » où chaque chef pouvait débattre avec chacun des autres chefs.

Non seulement cela donnait un bien meilleur spectacle, mais quand un chef de parti se retrouve à débattre avec un autre chef de parti, il s’ensuit un choc des idées qui donne beaucoup plus d’informations aux électeurs que d’écouter des interventions préparées et répétées d’avance.

Aux élections de 2015, le premier ministre Stephen Harper avait tout simplement refusé de participer au débat du consortium en anglais, mais avait accepté l’invitation de débattre à TVA et dans un débat présenté par le magazine Maclean’s et la chaîne CityTV. Ce qui a amené le gouvernement Trudeau, qui lui a succédé, à créer cette Commission des débats des chefs, dotée d’un budget annuel de 3,5 millions de dollars. Notons qu’aux États-Unis, la Commission américaine est financée par des dons privés, sans argent public.

Bref, le bilan de l’expérience de la Commission canadienne est plutôt mitigé malgré une certaine amélioration des cotes d’écoute. Ce qu’on note surtout, c’est que le format n’a pas beaucoup changé, même si on y a ajouté, par exemple, des questions enregistrées par des électeurs.

D’où l’intérêt de regarder ce qui se passera du côté des États-Unis avec deux débats organisés par les réseaux CNN et ABC. On verra bien si cela sera suffisant pour donner des débats plus intéressants que ceux que privilégiait la Commission.

Au Canada, on l’a vu avec les « Face-à-face » de TVA, en particulier, qu’on pouvait avoir de vrais débats en laissant les médias qui les organisent faire preuve de créativité. La Commission des débats des chefs au Canada était une mauvaise idée dès le départ. Avec l’approche d’élections en 2025, il est certainement le temps de se demander si elle est encore utile.

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