Toute l’année, Richard Hétu et Yves Boisvert nous informent sur les élections américaines dans une infolettre envoyée le mardi. Leurs textes sont ensuite repris dans La Presse+, le mercredi.

(New York) Pour un temps, un doute a plané sur la tenue de débats entre les principaux candidats à l’élection présidentielle de 2024. Pour la première fois en près d’un demi-siècle, les électeurs américains risquaient d’être privés de ce qui leur semblait une tradition immuable.

Or, la semaine dernière, Joe Biden et Donald Trump ont levé le doute en acceptant de participer à deux duels télévisés, le premier devant avoir lieu le 27 juin sur CNN et le deuxième le 10 septembre sur ABC.

Tout est donc en place pour un autre rituel : le débat sur les débats.

Mais ce débat sur les débats n’est déjà pas comme les autres. De coutume, il tourne autour de l’effet de ces affrontements qui interviennent en septembre et en octobre. Peuvent-ils vraiment changer la donne électorale ? Rarement, si l’on se fie aux experts en la matière.

En revanche, les débats de 2024 soulèvent des questions inédites. Quel candidat a eu le dessus dans cette entente qui occasionnera une première : un débat avant même la tenue des conventions des deux grands partis ?

Et que peut-on déduire des raisons qui ont poussé Joe Biden à proposer cette entente et celles qui ont motivé Donald Trump à l’accepter en un clin d’œil ?

PHOTO HAIYUN JIANG, THE NEW YORK TIMES

Le président Joe Biden était à Nashua, dans le New Hampshire, mardi.

Les deux camps ont chacun revendiqué la victoire après la conclusion de l’entente. Les stratèges de Joe Biden ont fait valoir qu’ils avaient réussi à imposer leurs demandes, notamment sur les dates et le nombre de débats, ainsi que sur les règles des face-à-face (ceux-ci se dérouleront sans spectateurs et avec des micros qui s’éteignent automatiquement lorsque le temps de parole d’un candidat est écoulé).

L’équipe de Donald Trump, elle, a claironné que Joe Biden était tombé dans le piège tendu par son prédécesseur. Ce dernier, en mettant au défi le président octogénaire de débattre avec lui, l’aurait ainsi forcé à accepter des rendez-vous qui devraient confirmer sa faiblesse ou sa sénilité.

« Il est LE PIRE débatteur auquel j’ai fait face. Il ne peut pas aligner deux phrases ! », a-t-il écrit sur Truth Social.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump lors d’un rassemblement à Wildwood, au New Jersey, le 11 mai dernier

Le dénigrement des aptitudes de Joe Biden pourrait évidemment finir par jouer contre Donald Trump si le président parvient à tenir bon contre lui ou même à l’éclipser.

Biden à la traîne dans les sondages

À une autre époque, George W. Bush et son camp avaient adopté une approche fort différente avant le premier affrontement télévisé contre le candidat présidentiel du Parti démocrate en 2004, John Kerry, champion de joutes oratoires à l’université. « John Kerry est le meilleur débatteur depuis Cicéron », avait affirmé un des stratèges du 43président.

Même les plus grands partisans de Joe Biden n’oseraient pas en dire autant à son propos. En fait, certains d’entre eux seraient peut-être prêts à reconnaître que la proposition du président démocrate de tenir un premier débat dès juin s’explique par la position précaire dans laquelle il se trouve à moins de six mois de l’élection présidentielle.

Au début de l’année, le camp Biden invoquait deux grandes raisons pour ignorer les sondages donnant l’avantage à Donald Trump dans plusieurs États clés :

1. Les électeurs ne réalisaient pas encore que le président défait en 2020, responsable de l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole et d’autres dérives démocratiques, allait de nouveau être le candidat présidentiel du Parti républicain.

2. La campagne du président, ponctuée de déplacements dans les États clés et de pubs ciblant notamment les électeurs noirs et hispaniques, n’allait vraiment commencer qu’après le discours sur l’état de l’Union.

Or, trois mois et demi plus tard, rien n’a vraiment changé. Joe Biden est toujours à la traîne de Donald Trump dans la plupart des États clés selon les sondages, et certains membres de la coalition démocrate, y compris les jeunes, les Noirs et les Latinos, tardent à rentrer au bercail, si tant est qu’il soit encore possible de leur donner une raison de voter pour le président actuel ou de les détourner de l’ancien.

Un pari risqué

Dans cette optique, le débat du 27 juin pourrait permettre à Joe Biden de changer la donne et de convaincre les électeurs vagabonds ou démotivés que son rival est un choix dangereux.

Bien sûr, le pari est risqué pour Joe Biden. Après tout, le même homme avait relancé les doutes sur ses aptitudes cognitives lors d’une conférence de presse où il voulait réfuter les « problèmes de mémoire » que lui avait diagnostiqués le procureur spécial Robert Hur. Il avait profité de l’occasion pour confondre le président de l’Égypte avec celui du Mexique.

Donald Trump n’est pas non plus à l’abri d’une gaffe.

En fait, le débat sur les débats devrait aussi porter sur la question de savoir lequel des candidats souffrirait le plus d’une contre-performance le 27 juin.