Je vais vous parler de ma région, mais cela concerne aussi la vôtre. La relation toxique entre l’Outaouais (ou encore la Côte-Nord !1) et le ministère de la Santé doit, de toute urgence, inspirer le ministre Dubé dans les prochaines étapes de sa réforme.

Chez nous, les faits sont simples. Seulement dans les 30 derniers jours, une chirurgienne a lancé un cri du cœur et quitté l’Outaouais⁠2. La préfète de la MRC Vallée-de-la-Gatineau a dénoncé le fait qu’on déshabille l’hôpital de Maniwaki pour sauver celui de Hull. Le préfet de la MRC de Papineau a produit un rapport sur les problèmes d’accès aux soins dans sa MRC. Devant l’exode vers l’Ontario de la main-d’œuvre en imagerie médicale, la cheffe du département d’urgence du CISSS de l’Outaouais a parlé d’une question « de vie ou de mort3 » et une pétition pour dénoncer le problème a obtenu 20 000 signatures en quelques jours. Pour la rédactrice en chef du journal Le Droit, la santé n’est, chez nous, rien de moins qu’une « catastrophe »⁠4.

C’est dans l’origine de cette catastrophe que se trouve une leçon essentielle pour M. Dubé. Je vous la dévoile tout de suite : son ministère a une incapacité chronique à s’adapter aux réalités régionales, et la situation en Outaouais en est un exemple spectaculaire.

Depuis des décennies, l’Outaouais a un retard chronique sur le reste du Québec en matière de santé. Pour rejoindre la moyenne québécoise par habitant, l’Outaouais aurait besoin aujourd’hui de 1138 infirmières de plus (nous avons 5 % de la population du Québec et 3 % des infirmières) et de 264 médecins supplémentaires. En 2022, il manquait 181 millions par année, en Outaouais, pour atteindre la moyenne québécoise de dépenses en santé. Il manquait également 170 lits de courte durée et 462 lits de longue durée pour atteindre la moyenne québécoise de lits pour 1000 habitants. Ces données viennent d’un tableau de bord réalisé par l’Université du Québec en Outaouais à la demande, et grâce au financement, du monde municipal⁠5 ! Le ministère de la Santé n’en avait pas…

Quel que soit l’indicateur concerné, l’Outaouais est toujours parmi les pires régions en matière de santé : temps d’attente aux urgences, accès aux spécialistes, temps d’attente en chirurgie (11,2 % des patients du Québec qui attendent depuis plus d’un an sont de l’Outaouais), temps d’attente pour les mammographies (31 semaines), etc. En santé, l’Outaouais est une catastrophe permanente.

Une dernière statistique : chaque année, le Québec paie un minimum de 100 millions de dollars à l’Ontario parce que les services de base en santé ne sont pas offerts en Outaouais, les gens d’ici se font donc soigner là-bas. C’est beaucoup, 100 millions par année. L’enjeu n’est pas uniquement régional, il est aussi national.

Deux réalités très bien connues expliquent cette catastrophe.

La première est celle du sous-financement chronique de la région, reconnu par Québec en 2019… mais toujours inchangé. Tant que le financement sera fait essentiellement sur une base historique, déconnectée de notre réalité démographique, nous aurons une incapacité chronique à répondre à des besoins bien réels et les gens continueront de souffrir.

Le second problème est la question de l’Ontario. Le CISSSO « n’est compétitif nulle part »6, ni par rapport à l’Ontario ni par rapport au gouvernement fédéral, a affirmé un ancien PDG du CISSS de l’Outaouais (depuis 2019, nous avons eu quatre PDG !). Chez nous, la rémunération différenciée par régions est cruciale. On a appris cette semaine que, dans les huit prochaines années, l’Ontario devra trouver plus de 33 000 infirmières et 51 000 préposés aux bénéficiaires⁠7. On a aussi appris qu’une autre institution de santé ontarienne refuserait dorénavant les patients du Québec⁠8.

C’est simple, si l’on ne règle pas, de façon permanente, la question d’un arrimage, même partiel, entre les salaires payés chez nous et ceux payés de l’autre côté de la rivière des Outaouais, la catastrophe perdurera, empirera.

En 2019, fait extrêmement rare étant donné la concurrence entre les régions, l’Assemblée nationale a reconnu officiellement, à l’unanimité, le retard particulier dont souffre l’Outaouais en santé. Ça a été une grande victoire politique. Le gouvernement caquiste travaille aussi à construire un nouvel hôpital en Outaouais, une autre grande victoire. Ces deux victoires seront complètement inutiles si le gouvernement ne s’attaque pas sérieusement aux deux enjeux fondamentaux qui sont à la source de tous nos problèmes : l’influence de l’Ontario et le sous-financement chronique.

Le système de santé québécois a une incapacité structurelle à tenir compte des particularités de chaque région. Quand je dis le système, je parle des hauts dirigeants à Québec, des conventions collectives, des ententes avec les médecins, des règles des divers programmes, en fait, du système au complet. Si on ne casse pas, à Québec, cette mentalité hyper centralisatrice et si on ne sort pas du royaume du « mur-à-mur », rien ne changera. L’Outaouais, la Côte-Nord et bien d’autres régions en sont la preuve, tous les jours.

1. Lisez le texte « Bras de fer entre Québec et les agences : “La Côte-Nord est une victime collatérale” » 2. Lisez la lettre ouverte « Manque de personnel hospitalier en Outaouais : je suis partie » 3. Lisez le texte « Urgences de l’Outaouais : des médecins implorent le ministre Dubé d’agir » 4. Lisez l’éditorial du Droit « La catastrophe de la santé en Outaouais pour les nuls » 5. Lisez l’étude « L’Outaouais en mode rattrapage » 6. Lisez le texte du Droit « Le CISSSO “n’est compétitif nulle part”, dit son PDG » 7. Lisez le texte du Droit « L’Ontario devra trouver plus de 33 000 infirmières et 51 000 préposés d’ici 2032 » 8. Lisez le texte « Un autre centre de santé d’Ottawa refuse les patients québécois » sur le site du 104,7 Outaouais Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue