Le Québec est perçu depuis longtemps comme une province notoirement antimilitariste, que certains considèrent même comme un repaire de pacifistes au sein du Canada.

C’est pourquoi, quand Ottawa a mis à jour sa politique de défense la semaine dernière en annonçant une injection de 8,5 milliards de dollars sur cinq ans pour les dépenses militaires, on a assisté à…

À quoi ?

À rien du tout.

Et dire qu’en mars 2003, quelques jours avant l’invasion de l’Irak par les États-Unis, 200 000 personnes dont le futur premier ministre Justin Trudeau – avaient pris d’assaut les rues de Montréal pour s’opposer à la guerre et à une participation du Canada au conflit…

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation contre la guerre en Irak, en mars 2003 à Montréal

L’attitude des Québécois face à la guerre et à l’armée canadienne a-t-elle changé ? Et si oui, pourquoi ?

Première hypothèse : j’ai l’impression que l’on constate, au Québec comme à peu près partout ailleurs, que la Russie et la Chine montrent les dents. Et qu’avec ce brusque retour d’une compétition agressive entre les grandes puissances, il serait imprudent de rester les bras croisés.

Je me suis empressé de valider l’idée avec Stéphane Roussel, professeur à l’École nationale d’administration publique du Québec et spécialiste de politique étrangère et des questions de défense.

D’emblée, il semble d’accord avec cette lecture de la situation et cite la guerre en Ukraine parmi les facteurs potentiels.

« Je recevais un paquet d’appels de journalistes dans les semaines qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine pour savoir si l’Arctique canadien était vulnérable à une attaque, raconte-t-il. La guerre en Ukraine a engendré un sentiment d’insécurité et l’idée que la guerre n’est peut-être pas si éloignée que ça. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’aéroport international de Kherson, en Ukraine, détruit par les forces russes, en janvier 2023

Stéphane Roussel ajoute par ailleurs qu’effectivement, « depuis que Xi Jinping est en poste, la Chine a un discours plus agressif ».

Mais il existe de nombreuses autres raisons qui, selon lui, expliquent que l’attitude des Québécois face à tout ce qui touche les forces armées évolue depuis plusieurs années. Un « changement très lent », mais perceptible, estime le professeur.

Toujours sur la scène internationale, il faut aussi parler de ce qui se passe aux États-Unis. Les déclarations de Donald Trump au sujet des pays de l’OTAN qui n’atteindraient pas la cible prescrite quant à leurs dépenses militaires (soit 2 % de leur produit intérieur brut) ont aussi frappé les esprits. Au Québec comme ailleurs.

C’est cette idée que si on ne contribue pas adéquatement, on risque d’être puni par les États-Unis. C’est très abstrait de parler de 2 %, mais quand ça vient sous forme de menace, ça a probablement un effet.

Stéphane Roussel, professeur à l’École nationale d’administration publique du Québec, à propos de la cible de dépenses militaires des membres de l’OTAN

Il y a aussi des facteurs internes, c’est-à-dire liés à l’évolution de la société québécoise.

Premièrement, davantage d’informations circulent sur les enjeux de sécurité et de défense. Il y a donc « une compréhension peut-être plus fine des enjeux, qui fait qu’il y a plus d’ouverture à cet égard », signale-t-il.

L’affaiblissement du mouvement souverainiste est aussi une piste qu’il a explorée lors de ses recherches.

« J’ai l’impression que l’opposition à tout ce qui est militaire et aux activités de l’armée canadienne est en partie une réaction identitaire. C’est une manière de se distinguer du Canada anglais. Et ce besoin de se distinguer m’apparaît beaucoup moins fort aujourd’hui. »

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L’armée canadienne était en appui pour évacuer les résidants lors d’inondations à Rigaud, en 2017.

Sans compter que l’image des Forces armées canadiennes s’est grandement améliorée au Québec depuis les années 1990. Entre autres en raison de leurs interventions lors de catastrophes naturelles, et au plus fort de la crise de la COVID.

Le professeur d’histoire Carl Bouchard, de l’Université de Montréal, dirige actuellement une équipe de recherche qui travaille sur l’engagement pour la paix au Québec depuis le XXe siècle. Il ajoute à ces facteurs « la question générationnelle ».

Il rappelle que le péril nucléaire était un enjeu très mobilisateur jusque dans les années 1980. Mais désormais, le mouvement antiguerre a du mal à susciter l’adhésion des plus jeunes.

« Les jeunes sont plus intéressés par les enjeux liés à l’environnement, la justice sociale et les questions identitaires. Je pense que ça a un effet », dit-il.

Carl Bouchard m’apprend que récemment, lors du lancement du plus récent numéro du magazine Relations – dans lequel il signe un texte intitulé « Peut-on encore rêver de paix ? » –, il y a eu une discussion sur les façons de « remobiliser » les Québécois pour la paix.

Le thème a aussi été exploré, dans ce magazine, par le militant et journaliste indépendant Martin Forgues. Il y constate que le mouvement antiguerre au Québec, dont il fait partie, « se cherche ».

Il se demande comment le raviver.

« J’ai constaté qu’on n’est pas capables de réunir de grosses foules quand il y a des prises de parole ou des manifestations. Que ce soit pour dénoncer telle ou telle campagne militaire ou la tenue du CANSEC, une grosse foire aux armes qui se déroule chaque année à Ottawa », dit-il.

Martin Forgues, un ancien combattant qui a autrefois été envoyé en Bosnie et en Afghanistan, déplore cette démobilisation des militants pacifistes.

« Je suis de ceux qui pensent que c’est important qu’il y ait un mouvement antiguerre. Parce que, oui, le monde est en train de se transformer et, oui, ça fait peur. Mais si on s’en va dans une course aux armements, ça va devenir autrement plus dangereux. »

Je comprends qu’on puisse voir la hausse des dépenses militaires comme une fuite en avant. Mais nous sommes visiblement de plus en plus nombreux au Québec à estimer que si l’on veut la paix, il vaut mieux se préparer à la guerre.

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