Chaque année, durant la saison des nids-de-poule – donc ces temps-ci –, CAA-Québec fait un palmarès des pires routes du Québec. L’entreprise devrait avoir honte de cet exercice.

Premièrement, parce que ce palmarès, du point de vue méthodologique, est loufoque.

Deuxièmement, parce que le message envoyé par CAA-Québec est dangereux pour les usagers de la route et toxique pour les contribuables.

Troisièmement, parce qu’avec son palmarès, CAA-Québec fait la promotion d’une vision préhistorique de ce que devrait être la priorité de tous les usagers de la route, y compris les automobilistes.

Méthodologie loufoque

Ce n’est absolument pas un palmarès des pires routes du Québec. C’est le résultat d’un vote en ligne de gens en colère. On inscrit le nom d’une rue en mauvais état et on indique son courriel. C’est tout. Aucun critère, aucune vérification, aucune analyse, rien. J’ai voté pour ma rue, une rue de Gatineau en parfait état, elle était en 28e position dans le palmarès.

Petite note : j’ai pu voter 15 fois, avec la même adresse de courriel. Un petit groupe mobilisé, et même une seule personne survoltée, peut faire en sorte que n’importe quelle voie se retrouve en première place. Ce palmarès, ce n’est pas de l’information, c’est du spectacle.

Sécurité des automobilistes

Il est inquiétant que CAA-Québec réduise la sécurité d’une route à la dégradation de son asphaltage et de son marquage. Les facteurs de risque qui rendent la réfection d’une rue prioritaire sont très nombreux : achalandage, présence d’ornières profondes, absence d’espace pour le transport actif, proximité d’une école, transport de marchandises, etc.

Il y a aussi des dangers qui ne se voient pas. Lorsqu’il y a un problème de drainage, une rue peut avoir une capacité portante qui se dégrade plus rapidement que dans une autre rue, même si sa surface asphaltée est en meilleur état.

CAA-Québec se vante « qu’une majorité des routes qui ont figuré sur le palmarès des années précédentes ont bénéficié d’investissements à court ou moyen terme ». J’imagine que CAA-Québec ne s’est jamais demandé si la pression publique immense qui vient avec une publication comme la sienne, reprise par tous les médias, n’avait pas incité des villes à sacrifier la réfection de rues plus dangereuses pour financer la réfection d’une rue devenue célèbre.

Ce ne serait pas la première fois que des élus prennent une mauvaise décision parce que des démagogues ont mobilisé des gens en proposant des solutions simplistes qui ne règlent rien.

Sécurité des contribuables

Pour des raisons évidentes d’économie, les administrations municipales veulent éviter de « creuser deux fois ». Elles tentent donc de jumeler la réfection de la surface (asphalte) avec celle du souterrain (aqueduc et égout). Par exemple, si une rue est « finie » en surface, mais que des travaux souterrains sont prévus dans cinq ans, la Ville peut choisir d’attendre pour ne pas détruire une couche d’asphalte presque neuve quand vient le temps de refaire le souterrain.

Autre choix stratégique. L’asphalte de la rue A est complètement fini, il faut refaire la rue, ça vous coûtera 1 million. L’asphalte des rues B, C et D est en meilleur état, sauf qu’avec le même million, vous pouvez faire une intervention qui fera gagner dix ans de vie à chacune des trois rues, de loin le meilleur choix du point de vue du contribuable. Que faites-vous ? Si on suit la logique de CAA-Québec, la priorité est de faire la rue A, donc de sacrifier le contribuable au profit du militant qui a voté sur l’internet.

Une vision dépassée

Si on veut de belles rues, bien asphaltées, il y a des solutions beaucoup plus efficaces que de pomper, éternellement, de l’argent dans le réseau routier, sans changer nos façons de faire.

Il devrait d’abord y avoir moins de rues et des rues moins larges – cela réduit la vitesse –, donc plus sécuritaires et moins coûteuses.

Il faut développer la ville sur elle-même plutôt que de l’étaler. Il faut aussi, de toute urgence, réduire le nombre de voitures sur les routes.

À cet égard, je n’ai jamais compris la guerre de certains automobilistes contre les investissements dans les pistes cyclables, les espaces pour les piétons ou, mieux encore, les tramways. Les piétons, les vélos et les tramways n’abîment pas les rues, ils libèrent la place pour les gens qui n’ont pas le choix d’être en voiture.

Au lieu de faire la promotion de la dépense en asphalte, CAA-Québec devrait faire la promotion de ce genre d’investissements : ils constituent de vraies solutions pour tous les usagers de la rue, pour les contribuables et pour la collectivité.

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