Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité.

Ça aurait dû être la semaine de Pascal Paradis, le candidat péquiste élu dans Jean-Talon avec une franche avance de 5853 voix sur sa plus proche rivale, la caquiste Marie-Anik Shoiry. On aurait également dû parler du suivi des recommandations de la commission Viens. Le Protecteur du citoyen a accordé la faible note de 33 % au gouvernement Legault en ce qui concerne les services aux Autochtones. Le ministre responsable de ce suivi, Ian Lafrenière, peut remercier son chef. François Legault a complètement détourné l’attention de sa mauvaise performance en ressuscitant un dossier qu’on croyait classé pour de bon : le troisième lien.

« Je dirais que ce n’est pas juste une grosse semaine, c’est une grosse année pour le troisième lien », lance Frédérick Bastien, professeur titulaire du département de science politique de l’Université de Montréal, à qui j’ai demandé d’analyser la semaine avec moi.

Les leçons d’une défaite

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault à l’Assemblée nationale mardi, au lendemain de la défaite de son parti dans la circonscription de Jean-Talon

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter au moins au 23 août. Une semaine avant le déclenchement de l’élection partielle dans Jean-Talon, La Presse a révèlé que le candidat péquiste Pascal Paradis avait flirté avec la CAQ en 2022. Le lendemain, Pascal Paradis a répliqué en affirmant qu’à l’époque, la CAQ lui avait confié que le troisième lien serait abandonné après les élections générales. François Legault a vivement nié ces informations, la CAQ et le PQ se sont accusés mutuellement de mentir, et toute l’affaire a laissé des traces indélébiles en plus de se répercuter dans les résultats de l’élection partielle.

Dès mardi, au lendemain de la défaite, le premier ministre, ébranlé, a ressuscité le controversé projet d’infrastructure routière.

« Sa lecture de la situation me paraît alambiquée, croit toutefois Frédérick Bastien. Décrypter le résultat d’une élection est complexe, on ne sait pas au juste pourquoi les gens votent. La promesse brisée a pu ébranler la confiance au-delà de l’enjeu du troisième lien. »

Même son de cloche de la part d’Éric Bélanger, professeur titulaire du département de science politique de l’Université McGill. « Ce n’est pas tellement le troisième lien que la notion de reniement d’une promesse qui a fait mal dans Jean-Talon, observe-t-il. Il y a l’idée que la parole du premier ministre ne vaut pas grand-chose. Les révélations de Pascal Paradis sont venues égratigner une couche de vernis et briser le lien de confiance. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre Bernard Drainville, député de Lévis, au Salon bleu de l’Assemblée nationale

De l’humilité à l’improvisation

M. Legault aurait-il dû s’en tenir à sa première réaction ? Le soir de la défaite, son jugement semblait plus sûr. Quand il a déclaré : « Marie-Anik, tu n’as pas perdu. C’est la CAQ et moi qui avons perdu », il donnait l’impression d’avoir entendu le message que lui envoyait l’électorat. Par quelle contorsion intellectuelle en est-il arrivé à conclure qu’il fallait ressusciter le projet de troisième lien dès le lendemain matin ? Mystère…

Lors de son discours [le soir de la défaite], j’ai trouvé qu’il était très humble. Mais on n’aboutit pas à une conclusion en 12 heures. Il aurait dû prendre le temps de réfléchir. Le mot qui me vient à l’esprit est “incohérence”, et pas seulement cette semaine.

Frédérick Bastien, professeur titulaire au département de science politique à l’Université de Montréal

Pour le professeur Bastien, cette incohérence remonte à 2022, avant la campagne électorale.

« Je pense à la conférence de presse à Lévis quand on a annoncé ce que serait le troisième lien, explique-t-il. Déjà, les études n’étaient pas là. On prétextait qu’elles dataient d’avant la pandémie et qu’il fallait les refaire, alors que clairement, l’impact de la pandémie allait être négatif sur le flux de circulation. Le discours du gouvernement était déjà empreint d’incohérence. Puis en avril, quand on a renoncé au projet, il n’y avait pas de nouvel argumentaire. Avec la sortie de cette semaine, cette incohérence m’apparaît toujours comme un problème. »

« C’est très rare qu’on joue ainsi au yoyo avec un projet, estime pour sa part Éric Bélanger, qui est également membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. Au cours des trois prochaines années, il est fort possible qu’on se pose de plus en plus la question de l’alternative à la CAQ. On est peut-être au début de ce processus. »

Une analyse que partage Frédérick Bastien. À moyen et long terme, selon lui, cette incohérence pourrait éroder le soutien de la population au gouvernement.

On s’attendait déjà à ce que ce soutien perde en intensité lors d’un deuxième mandat, mais avec cette élection partielle, les gens vont peut-être en arriver à se demander si le gouvernement les prend pour des valises…

Frédérick Bastien, professeur titulaire au département de science politique à l’Université de Montréal

Le professeur Bastien évoque le Polymètre de ses collègues de l’Université Laval, un outil qui vérifie le respect des promesses électorales. « Cette affaire [du troisième lien] a le potentiel de devenir un tournant, pense-t-il. Les travaux de mes collègues ont démontré que l’impact négatif d’une promesse non tenue est plus fort que l’impact positif d’une promesse tenue. »

Et ce n’est pas en sortant un lapin d’un chapeau (c’est-à-dire en ramenant le troisième lien) qu’on rétablira automatiquement la confiance des électeurs. On risque plutôt d’alimenter la confusion quant aux réelles intentions du gouvernement. En d’autres mots, le mal est fait.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La vice-première ministre et ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, au moment d’annoncer l’abandon du projet de troisième lien autoroutier, en avril dernier

Une semaine marquante

La dernière semaine aura également porté un dur coup à l’image de cohésion de la CAQ. « Cette image est mise à rude épreuve », reconnaît le professeur Bastien.

L’esprit de corps du caucus caquiste ne peut être que fragilisé. On pense entre autres à Geneviève Guilbault, qui a dû aller au front seule pour annoncer l’abandon du projet.

Frédérick Bastien, professeur titulaire au département de science politique à l’Université de Montréal

Oui, l’image de la ministre Geneviève Guilbault tenant ses cartables comme un bouclier a marqué l’imaginaire collectif. Tout comme les réactions des ministres Martine Biron et Bernard Drainville qui sont devenus des patineurs de calibre olympique quand il est question du troisième lien. Sans compter tous les élus caquistes de la région de Québec qui ont dû affronter la déception et la colère de leurs électeurs. Ça commence à faire beaucoup de monde écorché par le troisième lien.

Pour toutes ces raisons, la semaine du 2 octobre risque de rester gravée longtemps dans l’histoire du règne caquiste.

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