(Québec) Quasi rayé de la carte il y a un an, le Parti québécois (PQ) surprend et ravit le siège de Jean-Talon à la Coalition avenir Québec (CAQ). Pascal Paradis devient le quatrième député de la formation souverainiste à l’issue d’une élection partielle qui n’a même pas été serrée.

Le fondateur et ex-directeur général d’Avocats sans frontières Canada a obtenu 43,8 % des votes, éclipsant son adversaire caquiste Marie-Anik Shoiry par plus de 20 points de pourcentage.

« Le Parti québécois est de retour ! », a lancé le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, devant des militants euphoriques entassés dans le bar du restaurant Normandin de la Place de la Cité, dans Sainte-Foy.

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Le nouveau député de Jean-Talon, Pascal Paradis

Le parti de François Legault perd un siège pour une très rare fois depuis sa fondation. Si cette défaite ne remet pas en question sa super majorité à l’Assemblée nationale, elle fait apparaître une fissure dans son armure. Et elle gâche le premier anniversaire de sa réélection au pouvoir, ce mardi. La sanction des électeurs de Jean-Talon changera la dynamique de la joute politique.

« Triste », le premier ministre a encaissé durement ce revers cinglant. Il a pris la responsabilité de la défaite en disant à sa candidate : « Marie-Anik, t’as pas perdu ; c’est la CAQ et moi qui avons perdu. »

« Ce soir, il y a une chose qui est claire : les gens de Québec nous ont envoyé un message […] pour dire : vous devez faire un examen de conscience. Et c’est ça qu’on va faire », a-t-il affirmé à ses quelques dizaines de militants assommés, dont une poignée de députés et de ministres.

J’ai bien l’intention dans les prochains mois de rebâtir ce lien de confiance avec les gens de Québec. Parce que c’est trop important, pour moi, la région de Québec.

François Legault, premier ministre du Québec

« C’est la capitale nationale, c’est ici que ça a commencé, a poursuivi M. Legault. On va écouter les gens de Québec, tirer des leçons des décisions… et je n’embarquerai pas dans le détail de ces décisions. » Puis il s’est adressé directement aux électeurs de Québec : « On va agir pour mieux répondre à vos préoccupations et vos priorités. »

La prochaine grosse décision du gouvernement concernant Québec, c’est l’adoption d’un décret final pour autoriser la construction du tramway, dont les coûts estimés ont grimpé.

« On veut un pays ! »

Dès l’annonce de la victoire de Pascal Paradis à 20 h 48, les militants péquistes étaient en liesse. Des cris de joie ont fusé, les applaudissements étaient nourris, et l’ambiance était survoltée. « On veut un pays ! », ont spontanément scandé les militants du PQ, rassemblés en plein cœur d’une circonscription qui n’avait jamais été péquiste jusqu’ici. Puis les péquistes se sont mis à chanter Gens du pays. Debout sur sa chaise, le député péquiste Pascal Bérubé a crié, les larmes aux yeux : « Merci tout le monde ! »

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Méganne Perry Mélançon, Joël Arseneau et Pascal Bérubé

« Ce soir, nous avons fait la démonstration hors de tout doute que la Coalition avenir Québec n’est plus invincible », a déclaré Paul St-Pierre Plamondon, présentant sa formation politique comme étant celle qui peut faire perdre la CAQ à Québec et ailleurs. « Le Parti québécois est de retour dans la capitale nationale ! », a lancé le nouveau député Pascal Paradis.

L’annonce de la victoire péquiste a été reçue comme une douche froide par les caquistes réunis au Centre de glaces Intact Assurance. L’ambiance était, pour ainsi dire, glaciale. « On est surpris », a laissé tomber le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien, visiblement sonné par le verdict électoral.

« Je pensais que ce serait plus serré que ça », a reconnu son collègue Éric Caire, député de la région de Québec depuis 2007. Mais « il n’y a pas lieu de paniquer », a-t-il insisté. « Il reste trois ans de mandat » avant les prochaines élections générales.

Avec 44 % des suffrages, Pascal Paradis a connu une victoire très décisive. C’est tout un contraste avec le score de 18,7 % obtenu par le PQ il y a un an.

C’est la toute première fois que les électeurs de Jean-Talon, à Sillery et Sainte-Foy, envoient un péquiste à l’Assemblée nationale. Et c’est un retour du PQ dans la région de Québec, où il avait disparu depuis 2018.

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Ambiance de fête au rassemblement du Parti québécois

Marie-Anik Shoiry a récolté 21,5 %. La CAQ a perdu 11 points de pourcentage par rapport aux élections générales.

Après avoir terminé au deuxième rang lors des élections générales, Olivier Bolduc, de Québec solidaire, glisse en troisième position avec 17,4 % des suffrages. Il échoue dans sa troisième tentative de remporter cette circonscription ; le bureau de direction du parti appuyait plutôt une candidature féminine lors de l’investiture hâtive, qui s’est tenue au début du mois d’août.

La circonscription de Jean-Talon était un château fort libéral depuis sa création dans les années 1960, avant que la CAQ ne s’en empare à la faveur d’une élection partielle en 2019. Or, le Parti libéral du Québec obtient un score encore plus faible que celui obtenu il y a un an ; sa candidate Élise Avard Bernier était en voie d’obtenir à peine 8,9 % des votes.

Porte-couleurs du Parti conservateur, Jesse Robitaille doit se contenter de la cinquième place, avec 6 %.

Forte participation pour une partielle

Le taux de participation a largement dépassé la moyenne de 41,3 % enregistrée lors des élections partielles des 25 dernières années. Plus d’un électeur sur deux (57,4 %) s’est rendu aux urnes dans Jean-Talon. C’est un résultat supérieur à celui observé lors de l’élection partielle dans Jean-Talon en 2019, quand la CAQ avait détrôné le Parti libéral (49 %).

Cette élection partielle fait suite au départ de la caquiste Joëlle Boutin en juillet, moins d’un an après le dernier scrutin. En révélant cette démission, La Presse notait que les caquistes s’inquiétaient de ses répercussions politiques au moment où le PQ est passé en tête des intentions de vote dans la région de Québec.

La dégringolade de la CAQ dans ce terreau qui lui est historiquement fertile est survenue à la suite de l’abandon du troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis.

Le projet lui-même n’était pas foncièrement une priorité dans Jean-Talon, mais le recul de la CAQ sur une promesse phare a percolé. La parole du premier ministre a été mise en doute.

Le PQ est parvenu à fédérer une bonne partie des mécontents avec cet argument, au vu de la tournure des évènements.

Bras de fer en campagne

La Presse a révélé que Pascal Paradis avait flirté avec la CAQ l’an dernier et souhaitait obtenir un poste de ministre. Des sources caquistes ont transmis des courriels le démontrant.

Pascal Paradis a répliqué en disant que, dans le cadre de ses échanges avec la CAQ à l’époque, on lui avait confié que le troisième lien serait abandonné après les élections générales. Le PQ a dévoilé des échanges de messages qui le laissent entendre et qui confirment par ailleurs l’intérêt de M. Paradis à l’époque pour un poste de ministre sous la bannière caquiste.

La CAQ et le PQ se sont accusés mutuellement de mentir. Cette affaire a monopolisé une bonne partie de la campagne, portant ombrage aux autres candidats. Paul St-Pierre Plamondon a fait de « l’intégrité » de la CAQ sa question de l’urne. Et au cours de la campagne, il a décidé de reporter après l’élection la présentation du budget de l’an 1 d’un Québec souverain, pour éviter de passer son « temps à parler d’un autre sujet que ce que les gens de la circonscription de Jean-Talon ont comme préoccupations ».

La CAQ n’avait pourtant pas lésiné sur les moyens pour tenter de conserver son bastion. Deux réunions hebdomadaires du caucus avaient été annulées afin de dépêcher les députés sur le terrain. François Legault était même allé faire du porte-à-porte pour prêter main-forte à sa candidate.

Il y a peu de précédents à une défaite de la CAQ dans une circonscription qui lui était acquise.

L’an dernier, le député caquiste sortant Richard Campeau avait perdu Camille-Laurin aux mains du chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. Ce dernier avait profité du désistement de la candidate de Québec solidaire, prise en flagrant délit de dérober un dépliant péquiste dans la boîte aux lettres d’un électeur.

Lors d’une élection partielle en 2015, causée par le départ de Gérard Deltell à Ottawa, la CAQ n’était pas parvenue à conserver Chauveau – elle a toutefois récupéré cette circonscription de la région de Québec trois ans plus tard.