L’élection partielle dans Jean-Talon, provoquée par la démission surprise de la caquiste Joëlle Boutin, suscite beaucoup d’intérêt dans la capitale, où on se demande si le gouvernement de François Legault sera sanctionné pour l’imbroglio entourant l’abandon du troisième lien. La Presse s’est immergée au cœur de la bataille électorale avec les quatre candidats des partis représentés à l’Assemblée nationale.

Mobiliser les électeurs

C’est serré. Cette fois-ci, le constat ne vient pas que des sondages. Il vient du whip en chef du gouvernement, Éric Lefebvre, rencontré avec la candidate de la Coalition avenir Québec (CAQ), Marie-Anik Shoiry, dans un sprint vers l’élection qui la place au coude-à-coude avec le Parti québécois (PQ) dans les intentions de vote.

Au local de Mme Shoiry sur la route de l’Église, à Sainte-Foy, la salle est transformée en véritable « war room ». Des tables et des chaises sont éparpillées à travers des piles de prospectus. La candidate caquiste termine une rencontre avec Stéphane Gobeil, conseiller spécial du premier ministre.

« Je savais que c’était pour être une campagne particulière [et] que ça allait être beaucoup de travail. Je représente le parti qui est au pouvoir. C’est le parti que tout le monde veut attaquer et j’étais prête à ça », affirme Mme Shoiry en enfilant son manteau pour aller sillonner les rues de la circonscription.

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Marie-Anik Shoiry et Éric Lefebvre (à droite), whip du gouvernement, dans les rues de la circonscription

Fille d’un ex-maire, Marie-Anik Shoiry connaît bien la politique. Elle a grandi dans des locaux électoraux à éplucher le bottin avec sa grand-mère pour faire du pointage. Pour ses électeurs, marqués par une série d’élections partielles ces dernières années, elle promet une « stabilité » et une défense de leurs dossiers. La candidate aurait accès au premier ministre tous les mercredis, au caucus des députés, rappelle aux citoyens rencontrés le whip du gouvernement, Éric Lefebvre, qui accompagne Mme Shoiry dans son porte-à-porte.

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Éric Lefebvre et Marie-Anik Shoiry font du porte-à-porte malgré la pluie.

Dans les rues à la frontière de Sillery et de Sainte-Foy, où l’équipe caquiste a ciblé des adresses où cogner avec La Presse, Mme Shoiry sonde les citoyens afin de savoir si elle peut compter sur leur appui. Debout sur les perrons alors qu’un crachin tombe sur Québec, elle fait face à plusieurs maisons vides, à quelques réponses positives, mais aussi à des électeurs qui lui disent que son parti n’aura pas leur appui.

Éric Lefebvre analyse la situation à voix haute. Il reste encore quelques jours avant le vote, mais l’issue du scrutin pourrait être serrée. Quelques jours après notre passage, l’ensemble des députés caquistes présents à Québec vont faire du porte-à-porte. Au dernier soir du vote par anticipation, lundi, François Legault invite à son tour les médias à le suivre à la rencontre de citoyens triés sur le volet dans la rue du Boisé, question de faire sortir le vote.

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Le premier ministre François Legault donne un coup de main à sa candidate Marie-Anik Shoiry, lundi.

Un premier citoyen lui répond qu’il a déjà voté pour la CAQ. Une dame lui dit qu’elle est choyée. Un ministre caquiste a déjà fait du porte-à-porte sur la rue, il y a quelques jours. Mais ce qui met fin à l’exercice, c’est la rencontre enthousiaste que le premier ministre a avec un dirigeant de la Banque Nationale. Ce dernier laisse entendre qu’il voterait pour la CAQ même s’il est péquiste. « Vous savez que vous êtes le seul qui peut la faire ! », lui dit-il, tout sourire, au sujet de la souveraineté du Québec. 

« Le monsieur de la télé »

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Pascal Paradis, candidat du PQ, accompagné du chef Paul St-Pierre Plamondon, dans une résidence pour aînés de la circonscription

Quand le candidat péquiste entre dans la salle à manger du Manoir Laure Gaudreault, une dame le reconnaît immédiatement : « vous êtes le monsieur de la télé », dit-elle en référence à son entrée fracassante en politique. Au début de la campagne, François Legault et le PQ se sont mutuellement accusés d’être des menteurs en ce qui concerne l’abandon du troisième lien et des discussions avec la CAQ pour obtenir un poste de ministre au dernier scrutin.

« C’était un apprentissage rapide du monde politique, mais je pense que la politique n’a pas besoin d’être comme ça. Ce n’est pas ce que les Québécois veulent voir comme politiciens », affirme désormais Pascal Paradis.

Dans cette résidence pour aînés, où sera établi un bureau de vote par anticipation, le chef Paul St-Pierre Plamondon répète que l’élection sera « serrée ». Un homme attablé pour son repas du midi raconte aux deux péquistes qu’il écoute chaque jour ce qui se dit au Salon bleu. Un spectacle pénible, dit-il, déplorant que le gouvernement ne réponde pas aux questions. Le PQ pourra-t-il compter sur son vote ? Il préfère ne pas répondre.

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Pascal Paradis serre la main d’une électrice.

Un peu plus loin, un groupe conquis applaudit le duo, qui affiche deux attitudes fort différentes devant les électeurs. M. St-Pierre Plamondon, le dos droit, serre des mains, toujours prêt à discuter ou à débattre des grandes orientations politiques de son parti. M. Paradis, au contraire, s’accroupit pour se mettre au niveau des tables. Yeux dans les yeux, il pose des questions sur la vie des résidants, qui lui offrent des conseils en échange.

« N’allez pas parler de la séparation du Québec », dit l’une d’elles, tout en vantant le talent des députés péquistes en Chambre. La séparation, « c’est non », affirme un autre, plus catégorique. M. Paradis répond qu’il respecte son opinion, mais qu’il reste authentique à ses idées, pleinement assumées.

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Pascal Paradis discute avec des résidants du Manoir Laure Gaudreault.

En partant, le candidat lui rappelle aussi que l’élection reste une partielle face à un gouvernement qui ne fera pas, de toute façon, l’indépendance.

L’opposition plutôt que le gouvernement

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Élise Avard Bernier (à droite), candidate du PLQ dans Jean-Talon

Il n’est pas encore 8 h que les autobus scolaires, les piétons et de nombreuses voitures se faufilent rapidement vers l’entrée de la cour de l’école Saint-Mathieu, à Sainte-Foy. La candidate du Parti libéral du Québec, Élise Avard Bernier, intercepte tant bien que mal des parents, qui arrivent aussi vite qu’ils repartent.

« Pour moi, rejoindre les familles dans un contexte de rentrée scolaire, c’est hyper important. Dans Jean-Talon, nous avons 10 écoles primaires. Je les ai toutes faites jusqu’à maintenant une ou deux fois », s’exclame la candidate. Elle se décrit spontanément comme une femme « intense ». Son équipe le confirme.

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Élise Avard Bernier embrasse son fils Justin, qui s’est fracturé le bras la veille.

La veille, jour du débat entre les candidats sur les ondes de la radio régionale de Radio-Canada, Mme Avard Bernier reçoit un appel. Son fils Justin s’est fracturé le bras en jouant dans la cour de l’école. Transport en ambulance, opération et plâtre : la mère passe sa journée entre des visites de campagne, plusieurs arrêts dans les corridors de l’hôpital, son débat électoral et un cocktail militant.

Aux quelques parents qui s’arrêtent un instant pour discuter, au lendemain de cette journée d’une rare intensité, elle présente sa vision pour le quartier.

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Élise Avard Bernier tape dans la main de l’électeur Kelly Dumorne en compagnie du député André Fortin.

« S’il n’y a pas une voix qui va parler pour Jean-Talon à travers la marée de caquistes, nos enjeux seront plus ou moins écoutés, comme c’est le cas actuellement », affirme la candidate libérale.

La troisième fois sera la bonne ?

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Olivier Bolduc, candidat de QS, accompagné du chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois, visite l’organisme communautaire La Baratte.

Dans les cuisines de l’organisme qui œuvre pour la sécurité alimentaire La Baratte, installé dans un ancien gymnase enveloppé de parfums d’ail et de basilic en ce matin de confection de lasagnes, le candidat de Québec solidaire, Olivier Bolduc, tient un discours similaire.

« Regardez ce que Sol Zanetti [député de la circonscription voisine de Jean-Lesage] fait comme travail avec tout ce qui se passe concernant la pollution de l’air dans les quartiers environnants du port de Québec. S’il [n’était pas là], plein de choses n’auraient pas été sues », dit-il.

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Olivier Bolduc et Gabriel Nadeau-Dubois

M. Bolduc est un habitué des campagnes électorales. Contrairement à ses adversaires, qui en sont à leur première expérience, il se présente pour la troisième fois devant les électeurs de Jean-Talon. À deux reprises, il a gagné ses investitures en se présentant contre la volonté de son propre parti ou de certains de ses ténors. En 2022, lors du dernier scrutin général, il a terminé deuxième, derrière l’élue de la CAQ.

À La Baratte, les bénévoles témoignent des besoins qui explosent pour des plats nutritifs et à prix abordable, même ici dans Jean-Talon, où le revenu moyen des ménages est plus élevé que la moyenne du Québec. Olivier Bolduc affirme qu’un député de l’opposition doit contribuer à éclairer des problèmes moins abordés par le parti au pouvoir.

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Olivier Bolduc et Gabriel Nadeau-Dubois discutent avec des travailleurs de La Baratte.

« [Les enjeux de la circonscription] doivent être relayés par un député de l’opposition qui va poser des questions au gouvernement et le mettre devant ses contradictions et ses erreurs », affirme-t-il.

Jean-Talon en bref

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La bibliothèque Monique-Corriveau (à droite), dans Sainte-Foy

Circonscription électorale située à Québec, principalement dans les quartiers de Sainte-Foy et de Sillery

Nombre d’électeurs inscrits : 46 835

92,5 % : proportion des électeurs qui parlent français à la maison

42,6 ans : moyenne d’âge des citoyens (comparativement à 42,8 ans à l’échelle du Québec)

133 000 $ : revenu moyen des ménages comptant deux personnes et plus (comparativement à 116 000 $ à l’échelle du Québec)

Plus haut diplôme ou grade obtenu : 24,7 % des citoyens détiennent un baccalauréat (comparativement à 14,6 % à l’échelle du Québec) ; 22,9 % ont un diplôme universitaire supérieur au baccalauréat (comparativement à 8,9 % à l’échelle du Québec)

Source : Élections Québec, selon les données du recensement du Canada de 2021