Avec la rentrée scolaire, la négociation nationale des profs de l’école publique prend de plus en plus de place dans l’espace public. On comprend pourquoi : avec des milliers de postes à pourvoir et un ministre qui déclare publiquement et ouvertement qu’il espère avoir « un adulte dans chaque classe » à la rentrée, il est difficile de se réjouir de la situation dans le réseau des écoles publiques du Québec.

Malheureusement, plusieurs voix s’élèvent pour réagir à la crise en jetant allègrement le blâme, comme toujours, sur les vilains syndicats. Ces empêcheurs de tourner en rond, qui mettent des bâtons dans les roues des bienveillants gestionnaires, qui ne voudraient que le bien commun dans sa plus pure expression. Le problème, à entendre les commentateurs, c’est l’ancienneté !

C’est, évidemment, prendre le problème complètement à l’envers.

Tout d’abord, les classes, tout comme les tâches, relèvent des directions d’établissement. Ainsi, si un gestionnaire a approuvé une classe cauchemardesque qui nécessiterait un prof surhumain afin de venir à bout d’y enseigner, nous voyons mal en quoi ce serait plus acceptable d’y installer un prof en fin de carrière plutôt qu’un jeune diplômé – ou pire, un adulte qui ne possède pas les qualifications légales requises pour exercer notre métier.

Le problème, ce n’est pas l’ancienneté.

De dire que les classes difficiles sont données aux profs inexpérimentés qui désertent ensuite la profession, c’est nier la responsabilité des directions d’école de composer des groupes et des tâches équitables, mais aussi jeter l’odieux d’une situation profondément ingrate sur les gens qui la subissent plutôt que sur celles et ceux qui l’ont créée.

Tandis qu’il est question des responsabilités des gestionnaires, on ne saurait passer sous silence la déconnexion totale qui entoure les demandes patronales défendues par les représentants des centres de services scolaires à la table de négociation. Alors que le monde du travail change et que la flexibilité organisationnelle est de plus en plus mise de l’avant par les employeurs qui cherchent désespérément à attirer et à retenir les employés compétents et qualifiés, les centres de services scolaires sont encore en retard. Bien sûr, les profs doivent être en classe quand il s’agit d’enseigner : c’est bien évident. Par contre, quand il est question de préparer les cours, de corriger les devoirs et de faire toutes sortes d’autres tâches connexes, on pourrait croire que les patrons soient comme nous en 2023 et qu’ils permettent au personnel enseignant d’effectuer leur tâche au moment et au lieu de leur choix ? Eh non ! On veut surveiller, contrôler, talonner. C’est à peine s’il ne faut pas « puncher » en entrant et en sortant de notre établissement scolaire, comme dans les fabriques du siècle dernier.

Arriver au XXIe siècle

Il ne serait pas très difficile ni coûteux pour les centres de services scolaires de devenir des employeurs du XXIe siècle : tout ce que ça demanderait, c’est un peu moins de contrôle, un peu plus de confiance. C’est apparemment trop demander.

Les enseignantes et les enseignants, par la voix de leurs représentants syndicaux, proposent des solutions. À tous coups, la réponse est la même : « Si vous en demandiez moins, vous seriez plus heureux et la profession se porterait mieux. » La crise que nous constatons lors de cette rentrée est la conséquence directe de toutes ces années d’érosion, de négligence, de dévalorisation et de recul dans les conditions de travail des profs, de patrons qui préfèrent contrôler que faciliter, et d’une enfilade de ministres dont le mandat, semble-t-il, se limite à toujours abaisser un peu plus le niveau du système public d’éducation au Québec.

Il est absurde qu’on soit collectivement rendus à considérer que de mettre « un adulte » devant une classe soit une solution, en espérant que ce soit suffisant pour éduquer et instruire nos enfants. Être prof, c’est beaucoup plus qu’être un adulte dans une classe.

Plutôt que d’accuser les syndicats enseignants, et par le fait même les profs, il serait temps que les centres de services scolaires remettent en question leurs pratiques de gestion d’une autre époque et offrent des conditions de travail attrayantes. La Fédération autonome de l’enseignement a proposé une multitude de solutions et les a maintes fois amenées à la table de négociation. Malheureusement, les représentants des centres de services scolaires nous répondent avec fermeture, quand ce n’est pas avec mépris. Discutons des vrais enjeux à la table de négociation et ne laissons pas dévier le débat sur le faux problème qu’est l’ancienneté.

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