Après les dégâts causés par la dernière réforme et la dure expérience de la pandémie, c’est un moment idéal pour introduire dans le réseau de la santé et des services sociaux plus de démocratie et une plus grande responsabilisation envers la population.

Une telle proposition s’appuie sur des exemples de succès au Québec ou ailleurs, notamment dans les pays nordiques, et ne risque pas d’entacher l’efficacité anticipée ni d’entraîner des frais pour le Trésor public.

Nous proposons donc de créer au sein du réseau une instance bien identifiée, composée des responsables locaux des services de santé et des services sociaux œuvrant principalement en première ligne, auxquels s’associent des représentants élus du milieu municipal, des organismes communautaires, des GMF, des CLSC et des secteurs d’activité d’un territoire. Les frontières des territoires locaux, tracées selon les délimitations politiques et administratives reconnues, à savoir les MRC, en milieu semi-urbain et rural, et les arrondissements en milieu urbain, rendraient cette instance efficace et en étroite interaction avec la population.

Devant la proposition d’une agence Santé largement centralisée qui implique un fort mouvement de directives du haut vers le bas, il devient essentiel d’assurer le mouvement inverse, de faire contrepoids.

Il en va également de la responsabilisation à l’égard des populations là où elles vivent et évoluent.

À propos du privé

Le projet de loi 15 constitue une profession de foi envers le secteur privé et sa capacité à solutionner les problèmes d’accessibilité et de fourniture de services. Le marché privé est présenté comme complémentaire au réseau public alors qu’à plusieurs égards, particulièrement à celui des ressources humaines, il s’avère être un compétiteur d’importance. La vision globale du système dans lequel il doit s’insérer n’est pas explicite, et les données requises pour assurer la continuité des services sont rarement disponibles, constate la Vérificatrice générale. De plus, les assertions d’efficacité, de coûts moindres, de qualité, de services plus humains et de résultats sur la santé et le bien-être de la population n’ont pas été démontrées ni débattues au sein de la population. Sur plusieurs aspects, les résultats, recensés dans une littérature abondante sur des systèmes à dominance privée, ne sont pas de nature à rassurer.

L’article 2 du PL 15 met sur le même pied établissements publics et établissements privés. Des articles traitant du recours au privé parsèment le projet de loi, et les établissements publics pourront faire appel au secteur privé sans être contraints de s’assurer que le caractère public du régime soit respecté et protégé. Et que dire de l’article 647 qui confie au ministre de la Santé la fonction de surveiller « le marché des services du domaine de la santé et des services sociaux, notamment afin d’en connaître l’offre et la demande et les circonstances dans lesquelles les personnes ont accès aux services » ? Où sont les limites à ne pas franchir de façon à conserver un contrôle collectif sur un secteur aux responsabilités sociales, dont celles d’assurer une équité entre les différents groupes de populations et d’éviter l’amplification des inégalités qui subsistent dans la société québécoise ?

Un tel recours au privé ouvre la porte à un délestage de responsabilités publiques, car celle d’assurer la santé et le bien-être de la population sera dorénavant partagée avec des entreprises privées (art. 452).

Or, le régime québécois est « fondamentalement » un régime public et universel. Sans engagement ferme pour maintenir ce caractère auquel est profondément attachée la population québécoise, le PL 15 opte unilatéralement pour un changement en favorisant le développement des services privés, notamment avec une croissance rapide d’une médecine partiellement ou totalement privée.

Dans ce contexte, il est urgent que le gouvernement ouvre à l’ensemble de la population le débat sur la place que doit occuper le privé dans le secteur de la santé et des services sociaux, de comparer le recours au secteur privé dans des États comparables au Québec, d’en évaluer la performance en fonction d’indicateurs de santé reconnus et de fournir les balises et les limites qui devront l’encadrer.

En conclusion

On se serait attendu à ce que l’action législative entreprise par le gouvernement constitue un effort plus important pour consolider les acquis du réseau public et lui permette de mieux servir les besoins de la population québécoise, plus spécifiquement en première ligne. Tout au long de la lecture des 300 pages du PL 15, on se demande sur quelles évaluations rigoureuses et quelles données probantes ont bien pu être formulées de telles positions gouvernementales.

Il est de la responsabilité sociale des différents acteurs, impliqués directement dans le réseau de la santé et des services sociaux, de signaler au gouvernement les deux pièges révélés par une littérature abondante et dans lesquels il s’engouffre avec son projet : le gigantisme des structures et le glissement vers le privé.

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