L’auteur, artisan fermier, réagit à l’article d’Éric-Pierre Champagne sur l’empreinte écologique des produits alimentaires⁠1, publié le 7 août

On apprenait lundi, dans un article d’Éric-Pierre Champagne, qu’une étudiante à la maîtrise en science politique à l’Université Laval a remporté un prix pour la rédaction d’un essai dans lequel elle suggère qu’on appose, sur les emballages de denrées d’épicerie, des « étiquettes informatives sur les impacts environnementaux des aliments » pour « encourager les comportements alimentaires écoresponsables ».

Ces étiquettes indiqueraient, par exemple, le nombre théorique de kilogrammes d’équivalent CO2 dont la production d’un aliment est responsable – « théorique » parce que de tels chiffres ne sont pas issus d’analyses propres à chaque aliment, mais sont dérivés de tableaux.

On donne l’exemple d’une étiquette apposée sur l’emballage d’un fromage d’épicerie et sur celui d’une quantité équivalente de pois chiches. En les comparant, le consommateur réaliserait que le bilan carbone (en kilogrammes d’équivalent CO2) du fromage est 20 fois supérieur à celui des pois chiches. Du coup, le consommateur apprendrait que le fromage est mauvais pour l’environnement. Et de là, il n’aurait qu’un pas à franchir pour associer la protéine animale à un choix écologiquement irresponsable et la protéine végétale à un choix écoresponsable.

Pour ma part, je trouve la proposition pernicieuse et réductrice. En enseignant au consommateur que la protéine animale est mauvaise pour l’environnement – sans lui permettre de comprendre que ce sont, en fait, les méthodes industrielles qui ont été employées pour les obtenir qui sont irresponsables –, on vient porter un préjudice énorme aux artisans de nos terroirs.

En effet, un consommateur qu’on aura convaincu que le fromage et la viande, « c’est mal », sans lui avoir trop expliqué pourquoi, risque fort de développer le réflexe de les éviter partout ailleurs.

Et puisque peu ou pas de bilans carbone existent pour les produits de confection artisanale, des produits pour la plupart uniques en leur genre, bien malins seront les paysans capables de produire des étiquettes environnementales qui font foi des avantages écologiques de leurs denrées d’exception.

En effet, peu d’études – encore moins des études québécoises – se sont intéressées au profil environnemental particulier de denrées issues de systèmes agroalimentaires paysans. Dans les faits, l’essentiel des bilans carbone disponibles a été effectué sur les produits génériques de l’agriculture intensive dont les pratiques sont dictées par des visées productivistes.

Regarder au-delà des murs de l’épicerie

C’est ainsi qu’aucune comparaison facile ne peut être faite, par exemple, entre le bilan carbone d’un fromage d’épicerie de marque maison, produit à partir de substances laitières modifiées, issues d’élevages intensifs, et le bilan du fromage d’un artisan fromager qui obtient son lait en trayant ses bêtes, puis le transforme et le vend à la ferme. Soulignons que l’essai primé, dont il est question ici, ne fait pas état de ce vide informationnel et ne suggère pas non plus qu’on y remédie. Pourtant, si on veut réellement « encourager les comportements alimentaires écoresponsables », il est impératif d’aller voir ce qui se passe à l’extérieur des murs de l’épicerie ! Sinon, on risque de désinformer, plutôt que d’informer les gens.

Par ailleurs, connaître la quantité d’émissions de gaz à effet de serre dont la fabrication d’une denrée est responsable ne nous permet pas de savoir si le procédé dont elle est issue est durable. La durabilité associe des dimensions sociales, environnementales et économiques. Tout n’est pas qu’une question d’empreinte carbone !

L’artisan fermier qui voit à toutes les étapes de la création et de la mise en marché de ses denrées contribue à l’autonomie alimentaire de sa région.

C’est un être multidimensionnel qui agit sur plusieurs fronts à la fois. S’il pratique une omniculture responsable, c’est-à-dire qu’il emploie des méthodes de culture et d’élevage pérennes, il participera à la durabilité de sa communauté. Et c’est à ce type d’individu, plutôt qu’aux barons de l’agroindustrie, que nous devrions confier la tâche de nous nourrir. Travailler à bâtir une myriade de communautés autonomes, décentraliser, voilà la clé. La redondance, c’est la résilience. Face à un avenir incertain, une agriculture paysanne, portée par une armée d’artisans fermiers, me semble la meilleure option.

L’artisan fermier, ce marginal

Or, on fait bien peu de place à l’artisan fermier dans les grands rapports d’experts internationaux et on s’y intéresse à peine dans nos universités. Trop complexe comme personnage. Trop marginal. Pas assez de données probantes, de statistiques qui portent sur lui. D’accord, d’accord, mais s’il faisait partie de la solution ? Préférons-nous être les otages d’une agriculture industrielle mondialisée dont les denrées transitent, grâce à une poignée de grands conglomérats internationaux, vers une poignée de grandes chaînes d’alimentation pseudolocales ou préférons-nous jouir d’une omniculture responsable, pratiquée par des milliers d’artisans fermiers locaux ? Poser la question, c’est y répondre.

En somme, si on souhaite vraiment pouvoir faire preuve de discernement lorsque nous choisissons les aliments que l’on consomme, il faut s’intéresser à toutes les étapes de leur création. Pas seulement à leur empreinte carbone. Il faut se demander qui, où et comment. Qui a produit cet aliment ? Où, dans quelles conditions, et en employant quelles méthodes et quels ingrédients ?

Plus compliqué que de comparer des kilogrammes d’équivalent CO2 sur des étiquettes à l’épicerie, me direz-vous ? Assurément, mais en nous intéressant à l’envers du décor, nous réaliserons, je l’espère, qu’il ne s’agit pas tant de choisir entre tel ou tel produit de supermarché, mais bien de leur préférer, autant que possible, des aliments issus de fermes que l’on peut visiter, produits par des gens avec qui l’on peut discuter. Voilà qui vaut bien mieux que toutes les étiquettes du monde, il me semble.

1. Lisez l’article : « Produits alimentaires : une étiquette pour mesurer son empreinte écologique ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion