Depuis son annonce, le projet de loi 23 du ministre Bernard Drainville suscite de vives controverses dans l’ensemble du réseau de l’éducation. À peu près tout le monde s’entend pour dire qu’il ne s’attaque pas aux réels problèmes et qu’il en crée même de nouveaux. En outre, bien que de virulentes critiques proviennent également du milieu universitaire, la ministre de l’Enseignement supérieur se fait très discrète. Pourtant, une masse critique de professeures et professeurs est d’avis que ce projet va à l’encontre des conclusions d’un important rapport que son propre gouvernement a commandé il y a quelques années.

En 2020, la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque a confié au Scientifique en chef du Québec le mandat de réfléchir à l’avenir de l’université. Un groupe de travail représentatif du monde universitaire a été formé et une vaste consultation a eu lieu.

Une douzaine de recommandations en ont découlé et trois conditions incontournables à la réalisation de la mission des universités ont été réitérées : la liberté universitaire, l’autonomie institutionnelle et un financement approprié.

Il y a quelques semaines, le tiers des professeurs d’université en éducation au Québec ont signé une lettre adressée au Scientifique en chef⁠1 pour l’informer que le projet de loi Drainville mettait en péril les conclusions de son rapport paru en 2021. En guise de courtoisie, la ministre Pascale Déry a été mise en copie conforme.

En plus de mettre en lumière les risques entourant la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEE), les signataires ont fait part de leurs inquiétudes à l’égard de la centralisation exagérée du projet de loi 23, de sa conception étroite de la recherche scientifique, de sa représentation naïve du transfert des connaissances (qui le cantonne à une simple diffusion d’informations), du danger d’une orientation importante du financement de la recherche, de l’amputation potentielle des collaborations entre chercheurs et praticiens des milieux scolaires et d’une tendance à l’homogénéisation des pratiques de recherche et d’intervention.

Abolition risquée

En outre, on ajoutera que l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE), une instance neutre composée d’une diversité d’acteurs impliqués dans la formation des enseignants, comporte ses risques. Rappelons que cette instance est chargée de l’évaluation périodique des programmes. Sa disparition, combinée à la centralisation des pouvoirs entre les mains du ministre ainsi qu’aux tâches d’homologation des programmes et de formation qui incomberaient à l’INEE, créerait un précédent majeur. La situation serait le prélude d’une dépossession des universités de la maîtrise d’œuvre des programmes.

En bref, le projet de loi Drainville heurte de plein fouet le cœur de la mission des universités : la formation et la recherche.

Or, comment se fait-il que la ministre de l’Enseignement supérieur ne semble pas s’intéresser au dossier ? Est-elle préoccupée par les conséquences possibles du projet de loi de son collègue sur le fonctionnement des universités ? Pourquoi ces dernières ne sont-elles pas interpellées autrement que par le point de vue majoritaire et presque monolithique répété par une poignée de collègues en commission parlementaire ?

Considérant la mission qui est celle de la ministre, soit de « soutenir la communauté étudiante et les établissements d’enseignement, de promouvoir l’enseignement supérieur afin de contribuer, de façon durable, à l’essor économique, social et culturel du Québec », ne serait-il pas nécessaire qu’elle contribue en assurant la prise en compte de multiples voix relativement aux orientations et potentiels impacts du projet de loi 23 ? Dans cette optique, sa responsabilité ne serait-elle pas de demander au ministre Drainville de retirer le projet de loi pour que leurs ministères puissent se concerter et, surtout, coordonner une consultation publique élargie ?

Car comment pense-t-on réussir à mettre en œuvre les orientations de cette loi si une partie importante des acteurs scolaires et universitaires la rejettent tout simplement ?

1. Lisez la lettre envoyée au Scientifique en chef * Consultez la liste des cosignataires, professeurs d’université Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion