Le centre de services scolaire des Phares, dans le Bas-Saint-Laurent, a invité des « personnes n’ayant pas de formation en enseignement » à une rencontre d’information pour devenir prof à la prochaine rentrée. Une annonce qui a finalement été retirée, mais qui témoigne d’une situation « inquiétante » dans les écoles de la province.

Dimanche, ce centre de services scolaire (CSS) a annoncé sur Facebook qu’il tiendrait cette semaine une rencontre d’information spécifiquement pour les personnes « n’ayant pas de formation en enseignement ainsi que des retraitées ou retraités intéressés à travailler comme enseignante ou enseignant dans [les] écoles ».

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU CENTRE DE SERVICES SCOLAIRE DES PHARES

Le centre de services scolaire des Phares a publié cette annonce, dimanche.

Les réactions n’ont pas tardé. « J’ai abandonné l’enseignement parce que les conditions sont affreuses », a écrit une femme sous la publication.

Le syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis dit avoir reçu plusieurs courriels de membres qui ont voulu dénoncer cette façon de recruter des profs. Selon son président, c’est la première fois qu’une offre où il est si clairement indiqué qu’il ne faut pas être formé en enseignement est affichée par ce centre de services.

C’est un pansement sur une fracture ouverte. Ce que ça prend, ce sont des profs légalement qualifiés et pour ça, ça va prendre une amélioration des conditions de travail.

Jean-François Gaumond, président du syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis

À la fin de mai, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, a dressé un portrait peu reluisant de l’état des forces enseignantes. En 2020-2021, le quart des enseignants, soit environ 30 000 personnes, étaient non légalement qualifiés.

Lundi, La Presse a demandé au CSS des Phares quels profils de candidatures on souhaitait obtenir avec une telle annonce. Après l’envoi de notre courriel, l’appel aux « personnes n’ayant pas de formation en enseignement » a été retiré de la page Facebook du centre de services.

« Nous avons rectifié nos publications puisque l’intention de notre rencontre n’était pas d’avoir des gens non formés, mais bien d’outiller ceux qui aimeraient voir les options qui s’offrent à eux comme suppléant », nous a écrit Zoé Ross-Lévesque, coordonnatrice aux communications de ce CSS.

Le centre de services scolaire précise que même si l’invitation a été retirée des réseaux sociaux, la rencontre prévue jeudi aura lieu pour ceux qui souhaitent faire de la suppléance l’an prochain.

On indique aussi qu’actuellement, les suppléants ont « au minimum un premier cycle universitaire complété ».

Depuis quelques années, au Québec, des personnes avec un seul diplôme de 5e secondaire ont été appelées à enseigner à des élèves.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a récemment affirmé au Journal de Montréal qu’il ne s’agit pas du « premier choix ». « Si le choix, c’est entre une personne qui n’est pas légalement qualifiée et pas de personne du tout… c’est ça, le dilemme devant lequel nous sommes placés présentement », a-t-il ajouté.

« Inquiétant »

La vérificatrice générale a aussi constaté dans son rapport que le ministère de l’Éducation ignore quel est le profil scolaire des gens non légalement qualifiés, principalement des suppléants. Elle s’est inquiétée que « plusieurs élèves subissent des changements d’enseignants répétés, ce qui nuit à leur réussite scolaire selon diverses études ».

C’est une préoccupation partagée par Jean Bernatchez, professeur de sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski.

On sait que ça se dessine très tôt : si les jeunes vivent une mauvaise expérience au début de leur parcours scolaire, ça peut être structurant pour la persévérance et la motivation scolaires.

Jean Bernatchez, professeur de sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski

Ce n’est pas la première fois que les écoles de la province font des campagnes de publicité s’adressant à des professeurs non qualifiés, mais ces annonces se multiplient. L’hiver dernier, c’est le centre de services scolaire de Montréal qui a affiché des offres d’emploi pour de tels candidats appelés à travailler auprès d’élèves « à risque ».

Il s’agissait de postes en adaptation scolaire, un secteur où la pénurie de profs est particulièrement criante.

« On en est là actuellement au Québec. Pourtant, il y avait des signaux très clairs qui avaient été envoyés au cours des dix dernières années indiquant qu’on pourrait vivre une telle pénurie », dit Jean Bernatchez.

Au syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis, on estime qu’en matière de recrutement de profs au Québec, « c’est le monde à l’envers ».

« On le sait que si on améliorait les conditions de travail, les gens resteraient et seraient intéressés à devenir enseignant. Les jeunes dans les classes ne doivent pas se dire que c’est ce qu’ils veulent faire plus tard en voyant leurs profs aller », dit son président, Jean-François Gaumond.