(Montréal) Un groupe de défense des libertés civiles et une organisation de défense des musulmans ont demandé mardi à la Cour supérieure une injonction qui suspendrait l’interdiction de tout espace pour prier dans les écoles publiques du Québec.

Les avocats de l’Association canadienne des libertés civiles et du Conseil national des musulmans canadiens ont soutenu mardi, au palais de justice de Montréal, que cette interdiction, décrétée par le ministre de l’Éducation, causerait « un préjudice sérieux et irréparable » si elle n’était pas suspendue le temps que la contestation judiciaire soit entendue sur le fond.

Stephen Brown, président de l’organisation nationale musulmane, a déclaré aux journalistes avant l’audience de mardi que depuis l’introduction de l’interdiction, en avril, des élèves ont été menacés de mesures disciplinaires pour avoir prié à l’école. Il a expliqué que son organisation avait entendu parler d’un enseignant qui s’était moqué d’un élève qui voulait trouver un endroit pour prier dans son école.

« Nous sommes ici aujourd’hui pour qu’aucun enfant n’ait à trouver un endroit où se cacher pour prier à l’école, a déclaré M. Brown. Aucun enfant ne devrait avoir à cacher qui il est parce qu’il a peur d’être surveillé, menacé ou ridiculisé par les administrateurs scolaires et les enseignants, pour n’avoir rien fait de plus que d’être qui il est. »

Fin avril, le ministre Bernard Drainville a interdit aux directions d’écoles publiques de mettre à la disposition des élèves des espaces pour la prière. « Ce n’est tout simplement pas compatible avec le principe de la laïcité », expliquait-il. Le ministre a déclaré alors que les élèves seraient toujours autorisés à prier discrètement et « silencieusement » à l’école.

Un rituel physique

Mais Olga Redko, avocate des deux organismes, a déclaré au tribunal que ce n’était pas une option pour les musulmans, dont les prières nécessitent une action physique.

La requête en injonction a été déposée au nom d’un élève musulman de 16 ans d’une école secondaire de la région de Montréal qui avait obtenu un endroit pour prier pendant l’heure du dîner, mais qui a perdu ce site après l’entrée en vigueur du décret ministériel.

L’identité de l’élève est protégée par une ordonnance de non-publication. Des déclarations sous serment ont également été déposées en preuve par trois autres élèves musulmans qui disent avoir également perdu la capacité de prier dans leur école.

Johanna Mortreux, une autre avocate des deux organismes canadiens, a déclaré au tribunal mardi que cette interdiction violait la liberté de religion, ainsi que les droits des élèves à l’égalité et la dignité.

L’école est censée être comme une deuxième maison pour les élèves, a-t-elle plaidé. Leur demander de quitter l’école pour faire quelque chose d’aussi fondamental pour leur identité que de pratiquer leur religion cause un préjudice important, a ajouté Me Mortreux.

Le principe de laïcité

Éric Cantin, avocat du gouvernement québécois, a admis devant le juge qu’il était plus facile et pratique pour les élèves de prier à l’école. Mais la restriction a un effet relativement mineur sur les élèves, a-t-il plaidé, car ils peuvent quitter l’enceinte de l’école pour prier.

Les écoles sont toujours en mesure d’offrir d’autres aménagements raisonnables aux élèves pratiquants, a-t-il soutenu, notamment en leur accordant du temps libre lors des fêtes religieuses.

Avec la Révolution tranquille des années 1960, les Québécois ont soutenu le retrait de toutes les formes de religion des écoles publiques, a rappelé Me Cantin, et c’est ce désir d’écoles laïques qui a motivé l’interdiction ministérielle. L’avocat a plaidé que l’intérêt public, dans ce cas-ci, réside dans la conception québécoise de la laïcisation de l’école publique.

Lucie Roy, avocate au Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, qui supervise l’école fréquentée par l’élève au cœur de la requête, a indiqué au juge que la directive interdisait aux élèves de prier de façon manifeste, mais elle ne précisait pas les conséquences auxquelles les élèves s’exposeraient en cas d’infraction.

Mme Roy a déclaré que ses élèves ne seraient pas disciplinés pour avoir simplement prié à l’école, à moins qu’ils ne violent d’autres règles du code de conduite.

Le juge Lukasz Granosik, de la Cour supérieure, a déclaré mardi après-midi qu’il devrait rendre sa décision dès mercredi matin sur la demande d’injonction interlocutoire provisoire.