Deuxième texte d’une série de trois rédigés par le comité Droit à la santé de la Ligue des droits et libertés. Aujourd’hui, la privatisation en santé s’accélère au Québec, d’où l’importance d’en débattre largement.

Dès qu’est soulevée la question de la privatisation de la santé au Québec, le gouvernement s’empresse de rassurer les esprits inquiets en affirmant haut et fort que peu importe le mode de fourniture des services de santé, il sera toujours possible de les recevoir gratuitement en présentant la carte de la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Depuis longtemps, cela est une exagération. Car on estime qu’environ 70 % des services de santé sont couverts par cette assurance publique et universelle. Ainsi, les services dentaires, psychologiques, orthopédiques et de réadaptation, par exemple, sont rarement gratuits, sauf pour les accidentés du travail ou de la route et les plus chanceux qui sont protégés par une assurance collective au travail. En conséquence, le débat de la privatisation concerne aujourd’hui essentiellement les services offerts en milieu hospitalier et en cabinet médical.

N’oublions pas qu’au Québec comme ailleurs au Canada, les médecins, des entrepreneurs indépendants, mènent le jeu et déterminent dans les faits quels services sont requis. Avec le temps, cela a mené le régime à traiter comme une peau de chagrin tout autre service que celui offert en cabinet médical ou par l’hôpital. Et pourtant, la loi-cadre que s’apprête à dépouiller le projet de loi 15 proposé par le ministre Dubé s’appelle bien la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS).

Ainsi, devant le constat de l’accroissement de l’offre de services privés en santé et en services sociaux, il faut comprendre le rôle de l’État autrement. D’abord, l’État accélère la conclusion de contrats avec le privé. Mais aussi, il altère les règles du jeu en faisant du citoyen, qu’on aime décrire comme un client, un consommateur potentiel direct ou indirect (s’il est assuré) des services privés de santé. Inutile de préciser que les compagnies d’assurances s’en délectent.

Plusieurs recherches démontrent que cette nouvelle mise en concurrence du public et du privé crée un effet délétère de siphonnage du public vers le privé : ressources humaines, infrastructures, etc. Une analogie avec le monde de l’éducation postsecondaire – hautement privatisé – s’impose ici.

Le délabrement du réseau public de la santé, de plus en plus mal aimé malgré toutes les affirmations contraires, fait le sacrifice du droit de toute personne à la santé, voire au meilleur état de santé susceptible d’être atteint. Ce droit fondamental – affirmé en pièces détachées ici et là dans plusieurs législations québécoises – implique que le mouvement de privatisation de la santé soit examiné et freiné au nom de l’exigence de lutter contre les discriminations et de promouvoir l’interdépendance de tous les droits de la personne.

Se dessine au proche horizon une société à deux vitesses : celle des ménages qui pourront bénéficier de soins et de services en payant ou en faisant payer les assurances, ou encore en mobilisant les déductions ou crédits d’impôt.

Plusieurs professionnels – médecins et non-médecins – s’engouffrent dans ce nouveau marché de services privés, en commençant par les infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Cette américanisation de la société québécoise n’est pas consciemment choisie par les citoyens. Les autres, et ils sont nombreux à l’heure de la précarisation du travail et des incertitudes des trajectoires migratoires, se contenteront de soins de base pour lesquels ils n’auront pas à débourser. Quelqu’un s’est-il préoccupé d’évaluer l’impact discriminatoire de cette segmentation ?

Or, les populations vulnérables ont grandement besoin de la santé publique que l’on peut définir comme la somme des efforts organisés de la société pour maintenir les personnes en santé et éviter les blessures, les maladies et les décès prématurés. Le Plan santé et le projet de loi 15 n’abolissent évidemment pas la santé publique. Mais bien malin serait celui capable d’évaluer ce qui en restera, en commençant par les CLSC.

Vient ensuite l’enjeu de l’interdépendance de tous les droits humains. Les ménages québécois sont mal logés, mal nourris en raison de l’inflation du prix des aliments, mal encadrés dans leurs besoins psychosociaux et maltraités au travail et par le travail.

Isoler comme le fait aujourd’hui le discours gouvernemental l’enjeu de l’accès au médecin traitant et à la chirurgie des autres enjeux de santé publique – comme si la réponse à ces problèmes se trouvait dans un GMF – constitue un affront à l’intelligence citoyenne.

À cet égard, les travaux de la commission parlementaire qui examine le projet de loi 15 emportant la création de Santé Québec sont mal partis et mal enlignés. À vrai dire, ce projet de loi ne consacre pas la privatisation partielle des services de santé et des services sociaux au Québec. Il en facilitera l’accompagnement sans pour autant constituer le cœur du problème.

Bien d’autres initiatives sont plus déterminantes et ouvrent la voie aux acteurs économiques. Le droit à la santé, s’il n’interdit ni le recours au privé ni celui aux assureurs, n’en exige pas moins une vision holistique de la santé destinée notamment au mieux-être des populations les plus vulnérables dans toutes les dimensions de leur pénible quotidien.

Il est donc urgent et essentiel de re-poser les termes du débat sur le droit à la santé au Québec. À cette fin, faut-il ouvrir un chantier, créer une – autre – commission d’enquête ? C’est à discuter démocratiquement et non dans les couloirs technocratiques de la future Agence Santé.

Lisez le premier texte de la série, « La population doit participer aux prises de décision »

À lire le 19 juin : Privatisation en santé : des changements majeurs en toute discrétion

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