Le CRTC avait cru marquer le coup. Au motif que la programmation de la Société Radio-Canada doit être de « haute qualité » et refléter « le caractère multiculturel et multiracial du Canada », l’organisme fédéral a jugé bon de désavouer, en 2022, les chroniqueurs d’une émission de la SRC qui avaient cité, à quatre reprises en ondes, le titre du livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique.

Le contexte ne manque pas d’ironie. Lors même que ces animateurs s’interrogent sur l’à-propos de la pétition exigeant le renvoi d’une professeure de l’Université Concordia qui a prononcé le titre de ce livre en classe, les voilà, à leur tour, mis au ban. L’absence de mise en garde au début de leur chronique et la répétition jugée excessive du titre du livre leur sont reprochées. Le CRTC ordonne à la SRC de formuler des « excuses écrites publiques » au plaignant et d’instaurer des « pratiques exemplaires » en pareille matière.

L’ironie se poursuit, inlassablement : voilà le CRTC à son tour… sanctionné. La Cour d’appel fédérale lui reproche, dans sa décision prononcée le 8 juin, d’avoir employé un cadre juridique faussé. D’une part, le CRTC s’est tout bonnement trompé de repères. En s’en remettant erronément à une politique canadienne de radiodiffusion, le CRTC s’est arrogé « un pouvoir discrétionnaire illimité sur ce qui peut et ne peut être dit sur les ondes ». D’autre part, la décision du CRTC a mis en sourdine la liberté d’expression.

En clair, sa décision a été rendue sans la moindre prise en compte de ce droit constitutionnel. Le double reproche ainsi formulé par la Cour d’appel est cinglant.

Il ne faut pourtant point se tromper de sujet. La Cour d’appel ne désavoue pas les solutions préconisées par le CRTC. Elle lui reproche un raisonnement défaillant. Tout est donc à refaire et le CRTC sera appelé à se prononcer de nouveau.

La Cour d’appel pose pourtant salutairement des garde-fous majeurs. Le CRTC ne pourra plus faire l’économie des droits fondamentaux en cause – la liberté d’expression, la liberté de la presse – ni occulter les répercussions de sa décision en matière d’autocensure. Il lui faudra donc désormais intégrer à son analyse les prises de position particulièrement nettes exprimées par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et celles de nombreux journalistes de renom à l’instar d’anciens ombudsmans de Radio-Canada au sujet de la nécessaire marge de manœuvre en matière de liberté de la presse.

Le CRTC avait cru pouvoir esquiver les arbitrages indispensables en matière de liberté d’expression. La dérobade fut vaine. Il lui revient désormais de savoir éviter la servitude des mots et la servitude des êtres.

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