La semaine dernière, le privé a fait sa place dans le débat public, notamment, puisque Michael Sabia – un acteur de premier rang dans la privatisation du Canadien National (CN) – a officiellement pris la tête d’Hydro-Québec⁠1.

Le premier ministre, François Legault, et le ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, ont fermé la porte rapidement aux allusions de privatisation d’Hydro-Québec au vu de l’aspect sentimental que la nation y apporte, très bien véhiculé dans le documentaire J’aime Hydro⁠2. D’ailleurs, ce ne serait pas stratégique politiquement ; plusieurs commentateurs politiques soulignent que la privatisation partielle d’Hydro One a joué un rôle de premier plan dans la débâcle des libéraux ontariens en 2018.

Toutefois, peu le savent, mais une portion non négligeable de la production – et cette portion est grandissante – est produite par le privé, notamment le secteur éolien.

Et, a contrario de M. Fitzgibbon, je ne suis pas d’avis que le privé est nécessairement mieux qu’une société d’État⁠3. Le système de santé américain – le plus coûteux qui soit – en est le parfait contre-exemple⁠4.

Le privé vient avec son lot de problèmes. D’abord, puisqu’il exige un rendement pour ses actionnaires, il y a essentiellement une prime d’environ 15 %. Mais le problème du privé n’est pas là ; il se situe dans la capacité des grandes entreprises à contrôler l’offre et les prix pour engranger un maximum de profits.

Le domaine électrique est l’un des domaines où les pouvoirs du marché se font le plus sentir. Ces distorsions de marché sont coûteuses et ralentissent la très nécessaire transition énergétique. Notre maison brûle si vous aviez besoin d’un rappel.

En réalité, c’est dans ces distorsions de marché que la nationalisation d’Hydro-Québec a trouvé son fondement. L’électricité était produite par une poignée d’entreprises. Résultat : elle était non seulement coûteuse et de mauvaise qualité, mais aussi peu accessible, en particulier dans les zones rurales⁠5. La nationalisation a permis de nationaliser ces profits et d’accélérer le développement régional du Québec.

Non, le privé n’est pas toujours meilleur, mais… il n’est pas forcément mauvais.

La « destruction créative »

La « destruction créative », un concept popularisé par Joseph Schumpeter, se présente comme une danse macabre : les entreprises naissent et disparaissent en participant à un ballet entre création et destruction, où l’innovation joue le rôle du bourreau. Une seule erreur peut mener à la chute d’une entreprise (prenons l’exemple de BlackBerry), mais cette pression constante est aussi un puissant moteur d’innovation. C’est précisément cette menace permanente d’extinction qui confère au secteur privé son dynamisme.

L’État ne peut pas mourir, il n’est donc pas incité à innover. Et lorsqu’il innove, si les rendements ne sont pas au rendez-vous, il ne peut pas mettre la clé sous la porte.

Par conséquent, en matière d’innovation, le secteur privé est à privilégier. En outre, les entreprises des secteurs émergents n’ont pas le même pouvoir de marché que les grandes entreprises, et elles sont donc moins susceptibles de causer des distorsions de marché.

Or, comment tirer son épingle du jeu afin d’accélérer la transition énergétique ?

Voici l’approche que je recommande : permettons à Hydro-Québec Production d’entrer en concurrence directe avec le secteur privé dans des industries bien établies, comme l’éolien, et que le meilleur l’emporte.

En ce qui concerne les secteurs émergents, comme la gestion des parcs de camions lourds ou la mise en place d’un réseau intelligent, il me semble judicieux d’autoriser Hydro-Québec à collaborer avec des entreprises externes.

Outre la production, il est crucial de souligner qu’il est moins coûteux et plus écologique de réduire un mégawattheure que d’en produire un. La priorité devrait être de s’attaquer intelligemment aux pointes à l’aide de l’efficacité énergétique (isolation, thermopompes), mais également de mettre à profit des programmes tels que la tarification dynamique et Hilo.

1. Lisez l’article de Denis Lessard dans La Presse 2. Lisez l’article de Stéphanie Morin dans La Presse 3. Lisez l’article de La Presse Canadienne 4. Lisez le texte (en anglais) du World Economic Forum 5. Regardez la vidéo : « René Lévesque – Nationalisation de l’électricité au Québec (1962) » (Je recommande grandement cette vidéo.) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion