Justin Trudeau est passé maître dans l’art de gagner du temps. Lorsqu’une controverse éclabousse son gouvernement, il utilise généralement la même stratégie : d’abord minimiser la portée du scandale, puis attendre sagement que la tempête s’essouffle. C’est ce qu’il tente à nouveau de faire dans le dossier de l’ingérence chinoise lors des élections fédérales de 2019 et de 2021.

Il a d’abord refusé d’y voir un problème. Il s’est ensuite assuré de retarder les travaux de parlementaires réunis en comité pour y voir plus clair. Il s’oppose depuis à la motion adoptée par la Chambre des communes réclamant la tenue d’une enquête publique.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Pour l’auteur, Justin Trudeau se fait le complice de la Chine en refusant de tenir une enquête publique sur l’ingérence chinoise lors des élections fédérales de 2019 et de 2021.

En parallèle, son gouvernement a mandaté Morris Rosenberg, un ancien PDG de la Fondation Trudeau, pour faire un premier rapport. Rappelons que la Fondation Trudeau est aussi au centre de la controverse. Il a ensuite mandaté David Johnston, ancien gouverneur général, pour formuler des recommandations quant à la tenue d’une enquête publique.

Critiqué pour sa proximité avec la famille Trudeau et son parti-pris public envers la Chine⁠1, le « rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère » a sans surprise refusé de soutenir la tenue d’une commission d’enquête publique.

Depuis des mois, divers médias canadiens font écho de plusieurs actions menées par la Chine pour interférer dans les processus électoraux du Canada. Au fil des révélations, nous avons appris des éléments troublants :

1) des élus et des membres de leur famille, dont le chef de l’opposition officielle, furent placés sous surveillance par des agents étrangers en raison de leurs critiques du régime chinois ;

2) des stratégies furent déployées pour influencer le vote dans des circonscriptions où le vote d’électeurs d’origine chinoise pourrait avoir un effet sur le résultat ;

3) le Parti libéral du Canada aurait été infiltré dans le but d’influencer la sélection de certains candidats. Un député fut même exclu du caucus libéral pour cette raison.

Les fondements de la démocratie canadienne

L’ingérence d’un gouvernement étranger dans les élections canadienne n’est pas une controverse comme une autre. Elle touche les fondements mêmes de la démocratie canadienne. Cette controverse ne disparaîtra pas d’elle-même. Il ne s’agit pas d’une affaire partisane, mais d’une attaque sur « l’intégrité de notre système électoral », pour reprendre les mots de l’ancien directeur général d’Élections Canada Jean-Pierre Kingsley⁠2. Cela devrait au contraire préoccuper tous les partis. Car l’objectif de la Chine est double.

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Le Chinatown de Toronto. La Chine a tenté d’influencer le vote de sa diaspora dans certaines circonscriptions.

Le régime chinois tente d’abord d’accroître son influence sur le sol canadien, notamment en luttant contre des élus ou des candidats qu’elle juge trop critiques envers ses politiques internes et étrangères. Pour ce faire, elle serait intervenue directement et indirectement dans nos élections ainsi que dans la démocratie interne de nos partis politiques. Cela pourrait par exemple avoir pris la forme de dépenses électorales non autorisées, de contrôle des instances locales au sein d’un parti ou en étant actif en matière de financement politique. À cet égard, on se souviendra du scandale « cash-for-access »⁠3 qui avait contraint le gouvernement Trudeau à resserrer les dispositions de la Loi électorale fédérale en matière d’activités de financement politique.

La Chine atteint également un autre objectif. Comme toutes les dictatures, elle s’emploie à miner les principes que portent les régimes démocratiques.

Or, pour une démocratie, la confiance d’une population envers ses institutions politiques est ce qu’il y a de plus précieux. C’est cette confiance qui permet la participation électorale.

C’est encore la confiance qui assure la légitimité des lois et des décisions prises par les élus. C’est aussi cette confiance qui permet d’accepter sereinement sa défaite lors d’élections.

En Occident, le Canada fait figure d’exception en matière de confiance envers ses institutions. Jusqu’à maintenant, le déclin y est en effet beaucoup moins marqué qu’ailleurs. En 2021, trois Canadiens sur quatre se disaient satisfaits ou très satisfaits du fonctionnement de leur démocratie⁠4.

En moins de 30 ans aux États-Unis, le taux de confiance envers la démocratie a chuté de 75 % à moins de 50 % ⁠5, avec pour résultats polarisation, montée du populisme et croissance de valeurs autoritaires au sein de l’électorat. En 2023, seulement un tiers des Européens ont encore confiance en leurs parlements. Uniquement en France, à 23 %, la situation est encore pire⁠6.

Dans ce contexte, le recours à une enquête publique sur l’ingérence étrangère doit d’abord être perçu comme un exercice visant à protéger la confiance des citoyens envers la démocratie canadienne. Pour comprendre les stratagèmes utilisés. Pour s’assurer que les mesures prises pour protéger l’intégrité du vote sont toujours suffisantes et bien adaptées à la réalité.

En refusant de se plier au vote de la Chambre des communes qui exige la mise en place d’une véritable commission d’enquête indépendante, c’est sur ce front que Justin Trudeau devient le complice de la Chine. En multipliant les échappatoires et les faux-fuyants, il contribue lui aussi à miner la confiance des Canadiens envers leur démocratie. Et c’est la dictature chinoise qui y gagne.

1. Lisez « Allégations d’ingérence de la Chine – La nomination de David Johnston divise à Ottawa ». 2. Lisez « Ingérence étrangère – Une enquête publique demeure “essentielle”, dit l’ancien patron d’Élections Canada » 3. Lisez « Trudeau attended cash-for-access fundraiser with Chinese billionaires » 4. Consultez le rapport Support for Democracy in Canada 5. Lisez « Global dissatisfaction with democracy has reached a record high, research claims » 6. Lisez « Eurobaromètre européen : la France, pays de la défiance ? »

* Eric Montigny est membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires.

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