Cher Bernard,

Tu me permettras, cher ancien collègue de l’Assemblée nationale, de te tutoyer. Dure, dure semaine pour toi. Mais le bilan d’un ministre de l’Éducation ne se jauge pas à partir d’un écart de langage, même rediffusé mille fois. C’est gênant, mais pas fatal.

Passons à autre chose : notre système scolaire à trois vitesses, dont tu nies l’existence avec véhémence depuis ta nomination. Pourtant, ce système existe comme un nez dans la face, tu le sais aussi bien et sans doute mieux que moi maintenant que « ton » ministère te refile toutes les données probantes auxquelles tu te dis attaché.

Trois vitesses :

  • les écoles privées subventionnées qui trient leurs élèves sur le volet et moyennant une contribution financière non négligeable des parents ;
  • les écoles publiques avec projets particuliers qui sélectionnent les élèves selon leurs résultats scolaires ;
  • les écoles publiques ordinaires qui doivent accepter sans exception ni discrimination tous les enfants de leur quartier.

Nous avons perdu depuis trop longtemps, cher Bernard, cet objectif noble de l’équité et de l’excellence pour tous nos enfants et nos jeunes dans notre système scolaire. Nous envoyons systématiquement et insidieusement aux élèves du secteur public ordinaire, à leurs parents et au personnel de ces écoles le message qu’ils ont moins de chance, qu’ils sont moins importants, que l’excellence c’est pour les autres. C’est gênant et, contrairement à une bourde ministérielle ou deux, sans doute fatal pour le pays que tu auras tant souhaité créer, je me rappelle.

En quoi cette ségrégation scolaire est-elle bénéfique pour le Québec ? En quoi contribue-t-elle à notre développement collectif, à la persévérance scolaire de nos jeunes et à la persévérance professionnelle du personnel enseignant ?

Comment cette ségrégation renforce-t-elle la cohésion sociale nécessaire à notre bien-être ? Où sont les données qui te permettent de répéter tant et tant que tu n’adhères pas à ce cadre d’analyse, à cette « idéologie » ou à ce « concept » pour reprendre tes mots ?

Une patate chaude

Je le sais pour l’avoir vécu de première main, cette question de l’iniquité scolaire est une patate chaude politiquement. Les parents souhaitent et recherchent ce qu’il y a de mieux pour leur enfant. Ils lorgnent du côté des écoles privées et sélectives, souvent découragés de ce qu’ils perçoivent de l’école publique délestée de ses meilleurs élèves ou de ceux qui présentent moins de problème. C’est un cercle vicieux, tu le sais.

Briser ce cercle exige d’un ministre de l’Éducation qu’il reconnaisse le problème et tente de changer la donne avec courage. Gérin-Lajoie n’en manquait pas. C’est un formidable modèle à suivre.

Tu y consentirais que tu trouverais plein d’alliés.

PHOTO P. H. TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien ministre libéral Paul Gérin-Lajoie, en 1977

Tu pourrais, par exemple, t’inspirer d’un plan ambitieux pour l’équité scolaire défendu par l’association École ensemble.

Consultez le plan de l’association École ensemble

Sa solution : un réseau scolaire commun. Je te résume l’affaire :

  • Les écoles privées pourraient être financées à 100 %, par consentement. En échange, elles renonceraient à sélectionner leurs élèves et seraient gratuites. C’est le modèle finlandais. Elles conservent leur autonomie (comme des CPE) ; les conventions collectives ainsi que l’ancienneté des enseignants sont maintenues.
  • Les écoles privées qui ne veulent pas de ce statut pourraient continuer à trier leurs clients et à leur facturer des frais, mais sans l’argent des contribuables. C’est le modèle ontarien, la référence dans ton parti.
  • Dans le réseau commun, tous les élèves pourraient choisir des projets particuliers sans sélection par les notes et les frais. Je pense savoir que tu souhaites toi aussi multiplier les projets particuliers pour tous. Bravo, mais cela n’a évidemment de sens que si tous les projets particuliers sont sans sélection.

Politiquement, c’est la voie de passage idéale. On offre aux parents actuels des écoles privées qui acceptent cette convention que leurs enfants restent dans la même école, avec les mêmes camarades de classe, mais que les frais tombent à 0 $. Graduellement, l’école accepte gratuitement et sans sélection les enfants du quartier dans une école toujours gérée comme au privé. En cas de non-conventionnement, les tarifs pour les enfants déjà inscrits dans l’école sont protégés ; ils sont facturés à 100 % des coûts pour les nouveaux venus. Pas de choc tarifaire au privé non conventionné, gratuité au privé conventionné.

Cher Bernard, tu as le pouvoir de développer un système scolaire où la proximité, la gratuité, la mixité et les projets particuliers deviennent une norme d’excellence accessible à tous. Tu ne gouvernes pas par sondage, foi de politicien, mais jette tout de même un coup d’œil à celui d’École ensemble : les Québécois veulent un réseau scolaire commun, un réseau scolaire équitable.

Au plaisir de s’en reparler,

Camil Bouchard

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion