La guerre en Ukraine a modifié non seulement les relations entre la Russie et le reste de l’Europe, mais également les relations entre les États membres de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Un nouvel équilibre est en train d’émerger entre les États appartenant à l’Europe de l’Ouest d’une part et les États de l’Europe centrale et orientale, les États baltes (l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie) et les États de l’Europe du Nord (la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Suède) d’autre part.

Avant la guerre en Ukraine, les États de l’Europe du Nord et de l’Europe centrale et orientale étaient considérés, de tous les points de vue, comme un « partenaire junior » au sein de l’UE, étant donné la suprématie du couple franco-allemand qui façonnait et orientait les débats sur les questions de la sécurité collective.

Sous l’influence française, l’Europe occidentale œuvrait, tant en UE qu’à l’OTAN, pour la création d’une autonomie stratégique militaire de l’Europe. Cette orientation néo-gaulliste de la politique étrangère avait pour but non avoué la diminution de l’influence américaine au sein de l’OTAN et, par ricochet, en Europe.

Or, la guerre en Ukraine a complètement changé la donne. Elle a rendu cette orientation stratégique obsolète. La partie orientale de l’Alliance atlantique composée de trois groupements d’États, allant de la mer Baltique au nord à la mer Noire au sud, forme désormais un puissant flanc est de l’OTAN qui considère les États-Unis comme l’allié le plus important pour la protection de leur sécurité ainsi que pour la défense des démocraties libérales en Europe.

Piliers

Aujourd’hui, ces États représentent le pilier oriental de l’OTAN. Il est complémentaire au pilier occidental de l’Alliance, allant de l’Allemagne à la Grande-Bretagne. La partie orientale de l’OTAN perçoit les États-Unis comme un allié clé, capable d’équilibrer les rapports entre les deux ailes (orientale et occidentale) de l’OTAN.

Ni la France ni l’Allemagne, pour des raisons différentes, ne sont en mesure de le faire.

De fait, les États-Unis reprennent, sous la présidence de Joe Biden, le même rôle qu’ils ont exercé durant la phase la plus aiguë de la guerre froide (1947-1962). L’engagement des États-Unis à côté de l’Ukraine et leur volonté bien affichée de veiller sur la sécurité de la partie orientale de l’OTAN mettent en parenthèse la fausse supposition soutenant qu’ils se détournent de l’Europe en pivotant vers l’Asie, pour endiguer la Chine, laquelle envisage l’annexion de Taiwan par la force.

La visite du président Xi Jinping, du 20 au 22 mars 2023, à Moscou a, par ailleurs, scellé l’alliance, déjà en formation depuis plusieurs années, entre la Chine et la Russie. Cette nouvelle réalité géopolitique implique la présence militaire des États-Unis en Europe centrale et orientale, indispensable tant pour la sécurité européenne que asiatique.

Axe stratégique

À la suite de l’agression russe contre l’Ukraine, les États appartenant à la partie orientale de l’OTAN ont vu que, sans l’apport décisif des États-Unis, la guerre aurait pu se terminer en 2022 par la défaite de l’Ukraine et l’effacement de son État au profit de la Russie. L’axe stratégique connectant le pilier oriental de l’OTAN et les États-Unis émerge ainsi au lendemain de l’agression russe, le 24 février 2022, et se met en place lors de la visite du président Biden à Kyiv et à Varsovie, les 21 et 22 février 2023.

Dans la capitale polonaise, le président américain a rencontré les neuf chefs d’État d’Europe centrale et orientale, en les remerciant pour le soutien à l’Ukraine depuis le début de l’agression russe. Dans les sillages de cette rencontre, les États du nord de l’Europe (la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Suède) ont décidé d’intégrer davantage leurs forces aériennes, en signant dans la base de l’OTAN à Ramstein, en Allemagne, une déclaration en ce sens.

Ces pays disposent de plus de 300 avions de chasse, une force considérable qui contribue au pouvoir de dissuasion et à la défense de l’OTAN. Cette coopération militaire permet à la Suède (en attendant son adhésion à l’OTAN, pour le moment bloquée par la Turquie) de préparer ses forces armées à l’intégration dans le dispositif de l’Alliance.

Notons que, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Finlande et la Suède ont renoncé à leur neutralité et ont manifesté leur intention de se joindre à l’OTAN.

Parmi les États de l’Europe centrale et orientale, deux États – la Pologne et la Roumanie – se trouvent en première ligne de la défense de l’OTAN. Les deux États partagent une longue frontière avec l’Ukraine et ont accepté sur leur territoire des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens. Un an après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Pologne a considérablement augmenté ses forces armées. Son budget militaire pour l’année 2022 est à 2,4 % de son PIB. L’objectif pour l’année 2023 est d’atteindre 4 %, bien au-delà du 2 % retenu et souhaité par les 30 membres de l’OTAN. L’armée polonaise compte 170 000 soldats, taille comparable à celle de l’Allemagne. La Pologne envisage, d’après les propos de son ministre de la Défense, Mariusz Blaszczak, d’augmenter les effectifs de son armée à 300 000 soldats dans les prochaines années pour devenir la plus grande armée de l’Europe.

Quant à elle, la Roumanie possède une armée constituée de 70 000 soldats actifs, 60 000 membres des forces paramilitaires et 55 00 réserviste. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le pays a doublé son investissement dans l’industrie militaire, allouant des sommes importantes à l’acquisition d’équipement militaire. Bucarest accueillera au cours de 2023 un accélérateur d’innovation dans la défense en vue de faire des recherches dans les nouvelles technologies qui concernent actuellement les secteurs militaires : intelligence artificielle, biotechnologies et matériaux innovants.

En Roumanie, un important bouclier antimissile a été installé par l’armée américaine à Deveselu. De même, sur la base militaire de Mihail Kogalniceanu, située à 185 kilomètres à l’est de Bucarest, se trouvent stationnés 2000 soldats américains. Sur le plan de la collaboration bilatérale avec la Pologne, lors de la visite du ministre polonais de la Défense Blaszczak à Bucarest, en mars 2023, les accords de coopération militaire commune ont été renforcés.

La guerre en Ukraine a mis fin à 30 ans de croissance et de prospérité économique en l’Europe centrale et orientale. Cette croissance a commencé après la fin de la guerre froide, en 1989. Dorénavant, une partie du PIB de ces pays sera redirigée de l’économie civile vers les forces armées et les budgets militaires déjà en pleine croissance.

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