Pour l’exercice du plein champ de pratique infirmier afin d’augmenter l’accessibilité aux soins de santé

Il est 23 h 30, la salle d’attente des urgences est bondée. Catherine et son fils Zach font partie des plus de 20 % de Québécois qui n’ont pas de médecin de famille. Ils sont maintenant aux urgences depuis 6 heures pour ce qu’ils pensent être une otite.

Pendant ce temps, au poste de travail de l’ambulatoire, l’infirmier attitré aux salles d’examen se prépare à terminer son quart de travail. Les urgentologues font une dernière tournée des patients alités pendant que l’infirmier range du matériel. Devant la pile de dossiers d’urgences mineures, cet infirmier qui revient du « Nord » se sent impuissant et pense à quel point il serait bénéfique qu’il puisse voir quelques-uns de ces patients avant minuit, dont Zach...

En tant qu’infirmière des urgences depuis 10 ans, cette situation, je l’ai vécue et vue trop souvent. Le même sentiment d’impuissance et parfois même d’injustice naît en moi chaque fois. Je travaille avec des infirmiers1 formés, compétents et responsables, et les voir les mains liées quand on parle d’accessibilité aux soins me fait grincer des dents. À l’heure actuelle, plusieurs centaines d’infirmiers sont formés en rôle élargi et travaillent dans les dispensaires nordiques. Ils peuvent y pratiquer, selon un protocole national, plusieurs actes, dont la prescription de médicaments et d’examens. Malheureusement, lorsqu’ils sont hors des dispensaires, leurs privilèges de pratique élargie sont suspendus.

Les infirmiers sont parmi les professionnels bénéficiant du plus haut taux de confiance et bénéficient d’une formation solide. N’irait-il pas de soi que le système de santé leur laisse la chance de prêter main-forte ?

Pour moi, c’est une évidence que ce type de pratique devrait être autorisée en tout temps selon la formation du professionnel plutôt que selon son emplacement géographique.

Dans un second temps, il y a fort à parier que le coût social de la maladie serait diminué : moins d’absentéisme au travail, de congestion hospitalière, de complications reliées au retard de traitement, etc. Cet argent pourrait alors être redirigé ailleurs dans le programme de santé. Si Zach avait été évalué et traité plus tôt, probablement que Catherine aurait pu aller au travail le lendemain...

Finalement, parlons d’accessibilité aux soins de santé. C’est un droit universel. Cette accessibilité est d’ailleurs la valeur au cœur de notre système de santé publique et du mien. L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec pourrait lutter afin de laisser ses membres déployer leurs compétences. Ces infirmiers, à leur plein champ de pratique, permettraient aux médecins d’être réattribués à des cas plus complexes. Mais qu’en est-il de la qualité des soins ? Certains diront que les médecins sont les plus qualifiés pour évaluer et prescrire. Je tiens à rappeler que nos Premiers Peuples « dans le Nord » sont majoritairement desservis par du personnel infirmier. Cela veut-il dire qu’ils reçoivent un service de deuxième ordre pour leurs urgences mineures ? Une otite nordique est-elle moins bien traitée qu’une otite montréalaise ? Il est certain que la pratique élargie comporte des limitations importantes. Cependant, cette limite est acceptée pour le corps médical et il serait logique que le même type de confiance en lien avec le respect des limites professionnelles soit attribué aux infirmiers. La bonne personne, au bon moment, pour la bonne raison.

Donc, capable ou pas capable ? Laisser le plein droit d’exercice aux infirmiers en rôle élargi serait une solution contemporaine à une problématique criante et grave. Et ce, tout d’abord parce qu’ils sont formés et compétents, puis parce que cela réduirait le coût social et, enfin, parce que cela augmenterait l’accessibilité aux soins de santé. Je rêve d’un monde dans lequel je pourrai soigner Zach à même les urgences dans lesquelles je pratique.

1 Le masculin est utilisé pour alléger le texte.

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