Le sport est salvateur, à bien des égards. Vient toutefois un moment, avec l’arrivée des cheveux blancs, où les défis engendrés par la pratique d’une activité physique deviennent plus complexes, pour un tas de raisons.

Et si, sans prétention de performance et motivée seulement par l’envie de s’amuser, une tranche trop souvent négligée de la population avait enfin trouvé de quoi se nourrir pour rester jeune ?

Cette potion magique s’appelle le pickleball. Et elle fonctionne.

Au Complexe Multi-Sports de Laval, situé dans le quartier Pont-Viau, plus d’une trentaine de joueurs sont réunis, comme chaque mardi matin.

Dans le couloir menant aux deux gymnases réservés par l’Association régionale de pickleball de Laval, le bruit des balles sur les raquettes devient une symphonie tout à fait unique, semblable à la musique des érables d’une forêt qui s’écoulent dans les chaudières.

Si chaque coup crée une note, chaque rire se transforme en parole.

Sur un banc de bois accoté au mur, d’un vert comparable à la couleur de la marinade associée au nom du sport, Mina Oskoui explique pourquoi son sport est à ce point populaire. Depuis le début de la pandémie, le pickleball est l’une des disciplines ayant connu la plus belle ascension.

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Mina Oskoui

« C’est un sport accessible et qui l’est à différentes catégories d’âge. Tu peux avoir trois générations sur le même terrain de pickleball. C’est aussi un sport très familial, qui rassemble. C’est un sport qui ne coûte pas cher et qu’on peut apprendre à l’intérieur d’une heure, suffisamment pour avoir du plaisir à jouer. C’est aussi très social. Ce côté-là du sport est important », raconte l’une des administratrices de la Fédération québécoise de pickleball et présidente de l’Association régionale, pendant que des balles des terrains limitrophes frappent ses mollets.

Au Québec, il y avait environ 5000 joueurs avant la formation de la Fédération de pickleball du Québec, il y a plus de deux ans. Il y en avait plus de 8500 à la fin de 2022. La Fédération prévoit terminer l’année 2023 avec 12 000 inscriptions, réparties dans une soixantaine de clubs à travers la province. Sans compter les non-membres, qui jouent de manière récréative dans les parcs ou les complexes sportifs.

Idem au sud de la frontière. Ce sport fait le buzz. En 2023, 36,5 millions de personnes jouent au pickleball, une augmentation de 158,3 % depuis trois ans.

« Quand j’ai découvert ça il y a un an et demi environ, j’ai dit : “Wow !” », s’exclame Michel Trottier, de l’autre côté du rideau séparant les gymnases, après une joute endiablée.

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Michel Trottier

« C’est un sport accessible, facile d’apprentissage, et tout de suite tu es capable de jouer à un bon niveau. Tout le monde y trouve son compte, vraiment », croit-il.

Ancien professeur d’éducation physique et aujourd’hui membre du conseil d’administration de Pickleball Laval, M. Trottier a aussi découvert une nouvelle manière d’initier les jeunes à l’activité physique avec le pickleball : « C’est le sport de raquette le plus facile à apprendre pour un enfant. Je pense que c’est un sport d’avenir pour les profs d’éducation physique au primaire. »

Les négligés

Les joueurs québécois performent très bien à l’international. Catherine Parenteau et Ernesto Fajardo ont ouvert la voie et continuent de faire parler de la fleur de lys sur la scène nationale et mondiale.

Si la couverture sportive globale et le financement sont axés habituellement autour des athlètes de pointe, des joueurs professionnels et de la relève, une partie de plus en plus considérable de la population québécoise se sent oubliée, voire délaissée.

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La Fédération de pickleball du Québec prévoit terminer l’année 2023 avec 12 000 inscriptions.

Ces personnes du troisième âge méritent, elles aussi, de l’attention, du soutien et des espaces pour rester en santé le plus longtemps possible, croit M. Trottier : « Ça prend donc des sports pour que ces gens de 65 ans et plus puissent jouer et s’amuser. »

« Je vais pouvoir pratiquer jusqu’à 80 ans, sinon plus ! J’ai trouvé ma fontaine de jouvence », se réjouit Mme Oskoui.

Maintenant, il suffit de trouver suffisamment d’endroits pour faire jouer tous ces nouveaux adeptes. À Laval, le manque d’infrastructures est criant. « Dans les parcs, il n’y a rien pour les personnes du troisième âge. Je me bats depuis toujours pour qu’il y ait des infrastructures sportives accessibles dans les quartiers », souligne M. Trottier. « Ici, à Laval, on fait dur », lance sans détour sa collègue.

L’association se réunit cinq fois par semaine. À l’approche de l’été et de la haute saison, elle doit même limiter le nombre d’inscriptions en raison du manque de terrains, explique Mme Oskoui : « On ne peut pas accepter beaucoup de membres de plus, parce qu’on n’a pas les infrastructures. Sinon, on aurait des membres insatisfaits. »

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Il y a une soixantaine de clubs de pickleball au Québec.

Pourtant, Laval a un bassin de joueurs parmi les plus importants au Québec, mais ils doivent se contenter de jouer sur « des patinoires qui laissent vraiment à désirer ».

M. Trottier attend avec impatience un plan de relance de la Ville permettant de redonner à une génération qui ne demande qu’à jouer : « La Ville de Laval est censée déposer un plan pour les terrains de tennis et de pickleball. On l’attend depuis un an et on ne sait pas quand il va arriver. Pour l’été, on va avoir nos quatre mêmes terrains, sur des patinoires, qu’on avait il y a deux ans et on se débrouille avec ça. »

En attendant, les adeptes de cette nouvelle religion doivent pratiquer leur sport dans les quelques temples mis à leur disposition.

Au moins là, ils peuvent jouer et bouger, le temps d’une mélodie de balles, de raquettes et de rires.

Consultez les règles du pickleball

L’avis du directeur général

Stéphane Brière, directeur général de la Fédération québécoise de pickleball, est le premier à se désoler du manque d’infrastructures. « C’est sûr que c’est notre plus gros défi. […] Ce qui freine l’explosion du pickleball, ce sont les infrastructures, carrément », dit-il.

La montée en popularité du pickleball lui permet quand même d’être optimiste : « Lorsque les municipalités m’appelaient l’an passé, c’était pour bâtir trois ou quatre terrains. Maintenant, ils parlent de huit, dix et même douze terrains », s’est-il réjoui.

L’idée étant aussi de ne pas jouer dans les platebandes des joueurs de tennis. Si certains terrains sont reconvertis à l’avantage du pickleball, il est d’avis que les deux disciplines peuvent cohabiter. « On a discuté avec Tennis Québec et on s’est demandé ce qu’on pouvait faire pour travailler ensemble au lieu de se nuire. » Ils ont donc planché sur un guide de bonnes pratiques.

Le développement d’infrastructures aux États-Unis est spectaculaire et de nombreux Québécois s’y rendent pour en profiter, mais pour le moment « on n’est pas rendu là », précise M. Brière, en ajoutant que « ça ne veut pas dire que ça ne va pas arriver ». Selon lui, « dans deux ans le problème va être réglé ».

Nicholas Richard, La Presse