C’est l’histoire de deux jeunes, portant fièrement le drapeau de l’Union européenne, affrontant à mains nues des forces policières abusant de leurs pouvoirs, faisant face à des soldats russes envahissant leur territoire. C’est l’histoire d’un Ukrainien et d’un Géorgien, aux sorts liés, qui rêvent d’un avenir démocratique, européen, et détaché de l’impérialisme russe.

Il règne un air de déjà-vu ces jours-ci dans les rues de Tbilissi, capitale de la Géorgie. Ces images de dizaines de milliers de jeunes et moins jeunes exprimant leur mécontentement face à leur gouvernement nous rappellent certainement celles de Kyiv de l’hiver 2013-2014, les mois de l’Euromaïdan. Hiver lors duquel près de 4 millions d’Ukrainiens sont sortis dans les rues de la capitale, mais aussi dans celles de Donetsk, de Sébastopol, d’Odessa, de Kherson, pour protester contre les pressions du Kremlin sur l’ex-président Ianoukovitch de rompre les liens avec l’Europe.

Le 28 février 2022, dans la foulée de l’invasion russe, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont déposé une demande officielle d’adhésion à l’Union européenne. Or, contrairement aux deux premières, la Géorgie n’a pas obtenu le statut de pays candidat au sommet à Bruxelles à ce sujet en juin 2022. Elle aurait du rattrapage à faire en matière de réformes institutionnelles. Réformes qui sont freinées entre autres par les positions antieuropéennes de plusieurs cercles de pouvoir géorgiens.

Le spectre russe

Ces orientations se manifestent aujourd’hui au Parlement géorgien, dirigé par le premier ministre Irakli Garibachvili, un oligarque ayant fait fortune en Russie. Celui-ci a adopté, en première lecture, deux projets de loi obligeant les organisations civiles et les médias à s’enregistrer en tant qu’« agents d’influence étrangère ». L’inspiration ?

La Russie. En 2012, Moscou adoptait un texte liberticide similaire, sur les « agents étrangers », visant à sanctionner tout soutien étranger à un organisme œuvrant sur le territoire russe. Depuis, il a surtout été instrumentalisé pour emprisonner les opposants politiques, ce dont on a peur également à Tbilissi.

Lois « incompatibles », selon Human Rights Watch, avec « les normes de liberté d’expression et d’association ». Ces textes ont suscité une forte colère et des manifestations dans les rues des villes géorgiennes. D’abord pacifiques, elles ont surtout entraîné des heurts entre forces de l’ordre et population. « No to the Russian law » (non à la loi russe), scandent les manifestants. Canons à eau, gaz lacrymogènes et violences physiques : voilà ce qui attend un peuple libre aspirant à l’Europe et à la démocratie. Au matin du 9 mars, le Parlement a promis de retirer ces lois, mais rien n’est acquis. Le peuple continue à manifester et réclame un changement complet de gouvernement ainsi que des élections anticipées, ce qui témoigne du mécontentement général.

Ambitions européennes

Certes se pose la question de l’OTAN. Certes, les garanties de sécurité et la défense collective. Certes, les intérêts stratégiques. Or, ce que peinent à comprendre bon nombre d’experts est qu’autant les Ukrainiens que les Géorgiens souhaitent surtout un avenir européen, démocratique. Les revendications viennent du bas : respectivement, 91 % et 85 % de la population soutiennent une adhésion à l’Union européenne. Les citoyens souhaitent d’abord et avant tout tourner le dos à leur voisin impérialiste, et sont prêts à donner leur vie pour rejoindre le projet d’intégration européenne.

Puis, en tant que sociétés ayant la démocratie tant à cœur, qui sommes-nous pour leur dire non ? Qui sommes-nous pour forcer ces nations assoiffées de liberté à déposer les armes ? À arrêter de protester ? À se soumettre à l’autoritarisme russe ?

Le soutien européen, puis plus largement occidental, à l’Ukraine et à la Géorgie est remarquable et exceptionnel, mais comporte des lacunes. Certaines insuffisances qui se cristallisent en divisions politiques, au sein d’États qui se sont bien trop éloignés des projets initiaux de Jean Monnet et de Maastricht. Il faut rappeler que si la Russie envahissait la Géorgie en 2008, c’est en réponse à ses ambitions européennes. Si elle a fait de même en 2014 puis en 2022 en Ukraine, c’est pour les mêmes raisons. Depuis le début, il a toujours été question de l’Europe.

Nous nous devons donc de nous battre aux côtés de ces futurs citoyens européens ayant du cœur au ventre, face à des missiles et des projectiles de caoutchouc. Pour l’avenir de ces pays dont l’histoire se joue, pour les droits de la personne, et pour lutter contre l’impérialisme russe. Car à la manière de Simone Veil, première femme présidente du Parlement européen, les Géorgiens et les Ukrainiens, l’espoir, c’est en Europe qu’ils le placent.

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