On l’a vu, la pénurie des personnels scolaires qui s’accentuera d’ici 2030 a plusieurs causes. Elle ne se réglera pas par un coup de baguette magique, mais par les diverses mesures à court et à plus long termes présentées par des spécialistes de la question. Encore faut-il que le ministre de l’Éducation les écoute.

Améliorer les conditions de travail et le salaire de tous les personnels

Il faut améliorer substantiellement les conditions de travail et les salaires de tous les personnels scolaires ; les négociations actuelles devraient aller dans ce sens. Cela implique de reconnaître, et pas seulement en paroles, l’autonomie et l’expertise professionnelles de tous : corps enseignant, personnel du soutien scolaire et des services de garde, membres d’ordres professionnels et directions d’écoles.

À court terme, on doit accélérer l’accès à la permanence des nouveaux et réduire la précarité, qui touche un enseignant sur deux. On devrait avoir recours au personnel en place, par exemple les personnes du service de garde qui ont des horaires coupés pourraient, moyennant rémunération, prêter main-forte dans les classes du primaire, de même que les techniciens en éducation spécialisée, sachant toutefois que cela ne réduit pas les besoins des élèves en difficulté. Alléger la tâche du corps enseignant diminuerait assurément le nombre de départs et de congés de maladie.

Progressivement, on doit réduire le nombre d’élèves par classe en commençant par les classes où plusieurs élèves demandent des services professionnels. De plus, il faut tendre à réduire de façon draconienne les démarches bureaucratiques imposées au corps enseignant pour les élèves en difficulté : d’autres personnels pourraient très bien s’en acquitter. On objectera que cela demandera plus de personnel, mais c’est possible en aménageant autrement l’accès à la profession enseignante.

Assouplir les conditions d’accès à l’enseignement

Attention, il ne s’agit pas de diminuer les exigences, comme le propose le ministre, avec une formation au rabais. Non ! Enseigner pour faire apprendre est une responsabilité et un travail exigeants intellectuellement, émotivement et même physiquement.

Il faut offrir aux enseignants non légalement qualifiés un accompagnement adapté et accessible afin que ces personnes soient en mesure d’accomplir leurs tâches et leur permettre d’accéder à des formations leur ouvrant la voie à une qualification légale d’enseigner.

Il est aussi nécessaire d’assouplir les conditions d’obtention de la maîtrise qualifiante, ce qui se fait déjà dans divers programmes, et de développer d’autres modalités de formations plus adaptées aux enseignants déjà dans les classes que le baccalauréat de quatre ans à temps plein.

L’initiative prise par l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) est prometteuse ; elle vise entre autres à aménager l’horaire de cours des étudiants dans le but de faciliter la conciliation études-travail et vie personnelle.

Certains aspects de la formation initiale pourraient aussi être améliorés, dont la formation relative à la gestion de la classe, car nombre de nouveaux enseignants démissionnent, mal outillés pour faire face à trop d’indiscipline. Des retraités de l’enseignement pourraient offrir des mesures de soutien à l’insertion professionnelle, car ces mesures font souvent cruellement défaut alors qu’elles ont un impact positif sur la rétention des jeunes enseignants.

Repenser l’organisation du travail

Au lieu de continuer de vouloir à tout prix calquer l’organisation du travail sur l’entreprise privée, selon les préceptes de la nouvelle gestion publique, il faut penser l’école non pas comme une entreprise qui offre un produit ou un service, mais comme une institution fondamentale qui vise l’émancipation individuelle et collective de tous les élèves par l’accès aux connaissances de base dans divers domaines du savoir humain et le développement de compétences complexes comme savoir lire, écrire, pratiquer un sport ou un art.

Cela implique aussi d’avoir des classes plus hétérogènes et de mettre progressivement fin à la ségrégation scolaire qui place les plus démunis dans les conditions les moins favorables aux apprentissages. Il est de même nécessaire d’assurer la stabilité des intervenants et de faire en sorte que de réelles équipes-écoles existent.

Tout cela est parfaitement faisable. D’ailleurs, des expériences intéressantes sont en cours. Pensons à la mise en place de ce que d’aucuns nomment une communauté stratégique définie comme « une structure interorganisationnelle multidisciplinaire formelle à laquelle on confie le mandat d’imaginer et de mettre en œuvre des innovations ».

Diverses initiatives locales intéressantes afin que les enseignants passent moins de temps à faire de la surveillance ou à s’occuper de différents comités existent. Il faut s’en inspirer pour faire de l’école un milieu de vie pour les jeunes comme pour les adultes.

Bref, des mesures concrètes peuvent être mises en place dès maintenant. On objectera que cela coûtera cher. On répondra qu’il faut cesser de brader nos ressources naturelles à l’entreprise privée et taxer sérieusement les revenus des grandes corporations. Cela demande une volonté politique qui devra être stimulée par les exigences de la population et des organisations qui œuvrent en éducation pour que s’opèrent des changements de politiques – ce qui devrait être possible, en démocratie.

* Cosignataires : Réal Bergeron, professeur retraité de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, membre du Groupe régional d’acteurs pour la valorisation des enseignants ; David Lefrançois, professeur à l’Université du Québec en Outaouais ; Marie-Christine Paret, retraitée de l’enseignement secondaire et universitaire. Par ailleurs, Suzanne-G. Chartrand est porte-parole de Debout pour l’école ! et de Parlons éducation, et Geneviève Sirois est membre du Groupe régional d’acteurs pour la valorisation des enseignants.

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