L’ancienneté est une sacro-sainte règle syndicale. Elle fait foi de tout et elle a préséance sur tout. Elle est facile à comprendre et simple à appliquer. Il s’agit en quelque sorte du pilote automatique de la gestion.

Chez les syndicats d’infirmières, les règles d’ancienneté sont appliquées avec une extraordinaire rigidité. Elles sont même mises en œuvre établissement par établissement.

Par exemple, si une infirmière quitte un hôpital pour occuper le même emploi dans un centre hospitalier situé à quelques kilomètres, dans la même ville, son expérience ne lui servira qu’à déterminer son salaire. Pour toutes les autres conditions de travail, elle sera traitée comme une débutante. Elle sera la dernière à choisir son quart de travail (de jour, de soir, de nuit, de fin de semaine). Il en sera fort probablement de même pour l’accès à un poste de plus grande responsabilité.

Est-ce qu’on s’imagine qu’avec des règles pareilles, on va attirer des infirmières à l’hôpital de Rosemont afin d’endiguer la crise tant décriée, notamment par le syndicat d’infirmières ?

Prenant appui sur la sempiternelle ancienneté, les infirmières plus âgées, celles qui n’ont plus de jeunes enfants à la maison, se servent évidemment les premières. Plus question de travail de nuit. Et encore moins de sacrifier une partie de ses vacances d’été. On a le droit de choisir et on choisit le mieux. Que les jeunes infirmières fassent leur temps. Et tant pis si elles ont des enfants ou un conjoint qui travaille dans le secteur de la construction où les périodes de vacances sont fixées à l’avance. La conciliation travail-famille, c’est le discours de notre syndicat. Ça ne peut pas baliser l’ancienneté. Nous aussi, on a des principes.

C’est ainsi que les règles d’ancienneté empoisonnent la vie des jeunes infirmières. Elles sont reléguées aux plus mauvaises conditions de travail. Des conditions qui s’accordent mal avec leur vie familiale.

Pourtant, un minimum d’empathie devrait permettre de partager quelque peu le fardeau du travail plus difficile. Ah non, les infirmières bien en selle menacent même de démissionner en bloc si on songe à leur demander de travailler une fin de semaine de temps en temps. Les infirmières d’expérience, du moins une majorité d’entre elles, se disent que leur carrière a débuté dans des conditions difficiles ou pénibles et que c’est à leur tour de bénéficier des « meilleures places ».

Justement. Parce qu’elles sont déjà passées par là, les infirmières d’expérience devraient savoir ce qu’il en coûte de travailler à des heures atypiques. Elles pourraient aussi réaliser que le monde a changé et que les jeunes femmes d’aujourd’hui n’ont plus la même tolérance envers l’égoïsme corporatiste.

Il y a sans doute bon nombre d’infirmières généreuses qui acceptent de partager le fardeau et qui refusent d’abuser des prérogatives que leur confère leur convention collective blindée. Elles agissent alors en dépit de leur syndicat.

Car il ne faut surtout pas compter sur le syndicat des infirmières pour infléchir les tendances, apporter des correctifs ou simplement assouplir l’application des règles d’ancienneté. Sa tâche principale consiste à surveiller le pilote automatique et à s’assurer que le gouvernement ne le fera pas dévier de sa trajectoire. Le syndicat ne veut même pas s’asseoir avec le gouvernement pour en discuter. Il y aurait péril en la demeure.

Pourtant, ce syndicat est le maître brailleur sur les conditions de travail des infirmières et le manque d’attractivité de la profession. Il manque même de vocabulaire accusateur pour attaquer le gouvernement employeur sur tous les fronts.

S’il adoptait une attitude un tant soit peu collaboratrice, le syndicat des infirmières en arriverait à la conclusion qu’il peut contribuer à améliorer le sort des infirmières. Mais il préfère regarder de côté, parce qu’il n’a jamais rien géré et qu’il ne sait réagir que par les réflexes défensifs et agressifs qui n’ont pas changé depuis des décennies.

Il serait certes malhonnête d’imputer aux syndicats la désorganisation qui afflige le système de santé depuis fort longtemps. Mais quand une équipe de ministres exprime, avec une clarté qu’on a rarement vue, l’intention de corriger certains problèmes récurrents, le syndicat devrait répondre présent plutôt que de poursuivre son attitude avare.

Évidemment, les ministres sont des politiciens, c’est-à-dire des êtres éminemment sujets à caution. Mais si, par un heureux hasard, ils étaient de bonne foi, qu’est-ce que le syndicat des infirmières aurait à perdre ?

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion