La tragédie de la garderie éducative du quartier Sainte-Rose, à Laval, demeure un drame, humain avant tout. Si des larmes jaillissent, on peut se poser la question : quel est leur prix ?

À ce titre, il est permis de se détacher du droit criminel et de mobiliser le droit de la responsabilité civile. La responsabilité civile personnelle vise à compenser tout préjudice, qu’il soit moral (souffrance) ou matériel (bris ou perte d’un bien), devant la preuve de trois conditions cumulatives : une faute de l’agent qui a causé le dommage subi par la victime. Il faut insister sur le fait que, pour commettre une faute, l’auteur doit être apte, c’est-à-dire être en mesure de comprendre la nature, la portée et les conséquences de son acte.

Plus particulièrement, la question qui s’est posée est la suivante : est-ce possible d’indemniser les proches (que l’on pense aux parents, aux grands-parents, aux amis) affectés par la mort d’une victime directe ? Quelle somme leur accorder au titre des dommages-intérêts ?

L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Augustus c. Gosset1 apporte une réponse positive à la question. Cette affaire concerne une action intentée à la suite de la mort d’un jeune homme de race noire de 19 ans, causée par le coup de feu d’un policier, au Québec. La mère du garçon réclame des dommages-intérêts compensatoires à titre de solatium doloris. Cette expression latine correspond au prix de la consolation du chagrin et de la douleur morale qui découle de la mort d’une personne chère.

Se détachant de la réticence traditionnelle de la common law à reconnaître le solatium doloris à titre de préjudice moral indemnisable, le plus haut tribunal du pays fait droit à cette demande. Il accorde une somme de 25 000 $ à ce titre.

Si l’on peut se féliciter de la reconnaissance de ce chef de préjudice, en droit civil québécois, le caractère modeste de la somme accordée témoigne de la difficulté, sinon de l’impossibilité, de quantifier adéquatement la douleur d’un parent causée par la mort d’un enfant. La cour écrit en ce sens :

« Il n’est pas difficile de concevoir que le décès de son propre enfant représente un événement extrêmement douloureux, voire même traumatisant, à tous les égards. La souffrance qui accompagne cet événement contre nature n’a d’équivalent en intensité que l’incommensurable joie que la naissance d’un enfant peut provoquer. Cette souffrance est tellement aiguë qu’il paraît impossible même de l’évaluer en termes d’argent. » (par. 47)

Confrontée à cet exercice délicat d’évaluation du préjudice moral découlant de la mort d’un être cher, la cour élabore certains critères « par souci de préserver un tant soit peu l’objectivité de cette démarche qui, tout en faisant preuve de sensibilité aux particularités de chaque cas, ne saurait ignorer les limites du principe de restitution intégrale » (par. 48).

Tributaires des circonstances de chaque espèce, les tribunaux devraient considérer notamment les critères suivants : « les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès, l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres. Puisque la compensation monétaire, quelle qu’elle soit, n’atténuera pas la douleur du parent, le chiffre sera nécessairement arbitraire dans une grande mesure » (par. 50).

Toutefois, dans le cas de de la garderie éducative du quartier Sainte-Rose, il faut signaler un fait névralgique : la situation impliquait un véhicule à moteur, en l’espèce un autobus. Le régime étatique d’indemnisation à caractère social basé sur la Loi sur l’assurance automobile s’applique. Quand le défunt est mineur, ses parents peuvent faire une demande d’indemnité forfaitaire de décès et pour frais funéraires auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec. Nul besoin de faire valoir une action devant les tribunaux judiciaires et de se prêter à cet exercice périlleux d’évaluation du prix des larmes... Par contre, une indemnisation automatique est nécessairement arbitraire...

1 [1996] 3 R.C.S. 268

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