Dimanche 26 février dernier, La Presse présentait les remous causés par le projet GéoLAGON à Petite-Rivière-Saint-François1. L’affaire reprend les grandes lignes d’un scénario vu maintes fois au Québec.

Un promoteur achète des terres à un propriétaire local pour y construire un vaste complexe récréotouristique. Les élus de la MRC, fidèles au principe de précaution, adoptent une résolution pour empêcher tout projet d’envergure à court terme. L’objectif de cette mesure : se donner le temps d’étudier les projets proposés. Évidemment, le propriétaire des terres en question y voit une atteinte à son droit de faire des affaires. Le promoteur ayant seulement versé un dépôt, le propriétaire craint une annulation de la vente.

Si le débat entre intérêts économiques et environnement pointe son nez dans cette affaire, la réaction du propriétaire laisse entrevoir un autre enjeu. En représailles à la résolution de la MRC, le propriétaire a décidé de bloquer l’accès à un sentier qui traverse ses terres. Désormais, le grand public ne pourra plus emprunter ce sentier accessible depuis 15 ans.

Cette réaction soulève une importante question : l’accès à la nature peut-il être contraint par la propriété privée ? Un enjeu épineux peu abordé au Québec. Fort heureusement, les Scandinaves (encore eux) discutent de ce sujet depuis longtemps.

Dès la seconde moitié du XXe siècle, un nouveau terme apparaît dans la législation suédoise : allemansrätten. Le terme renvoie à un concept, soit le droit de tout un chacun de jouir des espaces naturels et de l’environnement, sans prise en compte du droit à la propriété privée et de l’accord du propriétaire des lieux.

Autrement dit, toute personne peut circuler – à pied, à vélo ou à cheval – dans les espaces naturels sans avoir à demander l’autorisation au propriétaire des lieux. La reconnaissance de la nature et des paysages comme patrimoine collectif est au cœur de ce droit, tout comme la responsabilité civique et le bon sens.

Évidemment, tout droit s’accompagne de responsabilités. Le respect de l’environnement et la quiétude des propriétaires constituent les principales limites de ce droit.

Un droit utopique ?

Dans la plupart des pays nordiques où l’accès à la nature est reconnu, ce droit s’applique à des espaces clairement définis. En Suède, la population peut uniquement accéder aux espaces naturels et aux campagnes ; de même, les espaces privatifs (bâtiments, jardins, plantations, etc.) sont exclus de l’exercice de ce droit. Ainsi, la piscine et le jardin d’autrui demeurent des espaces restreints. Les différentes législations nordiques comprennent une foule d’autres détails et spécificités entourant l’application de ce droit.

Le cas de l’Allemansrätten suédois ouvre d’intéressantes perspectives. D’abord, il remet en question la privatisation des espaces naturels entre les mains d’un nombre restreint de personnes. Pourquoi certains individus pourraient-ils être les seuls à bénéficier de la nature si cet usage par les autres individus est sans préjudice pour la nature ou l’environnement ?

Ensuite, l’exemple suédois nous met devant le fait accompli. L’accès à la nature sans égard à la propriété privée ne relève pas d’une utopie fantasmée. De telles législations existent, mais surtout fonctionnent.

Notons que l’allemansrätten est un droit reconnu par la Constitution suédoise depuis 1994. La Suède n’est pas l’unique endroit où l’accès à la nature est érigé en droit : la Norvège (allemannsrett), la Finlande (jokamiehenoikeus) et l’Estonie (igameheõigus) ont leur propre déclinaison de ce droit, sans compter d’autres variantes à travers le monde.

Le Québec se déploie sur un territoire d’une grande richesse naturelle. Plus d’un demi-million de lacs et 761 000 km2 de forêt, dont une grande partie est soumise à la propriété privée. Ainsi, une question reste en suspens : à quand un droit d’accès à la nature pour le Québec ?

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