(Québec) Le conflit qui oppose les promoteurs du projet GéoLAGON à de nombreux élus de Charlevoix a pris une tournure inusitée ces derniers jours, lorsqu’un grand propriétaire terrien de la région a décidé de bloquer un sentier de randonnée très fréquenté à Petite-Rivière-Saint-François pour signifier son mécontentement.

« Je ne suis pas un chamailleur. Mais à un moment donné, ils me touchent dans mon portefeuille, puis j’ai l’argent pour suivre et je connais la poutine », lâche au bout du fil Vital Lévesque.

M. Lévesque a vendu les terrains qui doivent servir au GéoLAGON, ce projet qui prévoit une piscine hors terre de 120 000 pi⁠2 – soit deux terrains de football – chauffée à 38 °C toute l’année et entourée de centaines d’unités de location à court terme du genre Airbnb.

IMAGE FOURNIE PAR LOUIS MASSICOTTE

Une image du concept de village hôtelier élaboré par le promoteur du projet GéoLAGON

La MRC de Charlevoix, qui a d’importantes réserves quant au projet, a adopté le 8 février une résolution qui bloquait essentiellement les grands projets domiciliaires en zone forestière pendant 90 jours. Les élus ont dit vouloir se donner le temps de consulter les citoyens. Ils en ont adopté une seconde la semaine dernière pour préciser la première.

« C’est un zonage ciblé, très, très ciblé », peste Vital Lévesque, qui croit que les résolutions visent directement le projet GéoLAGON.

L’homme explique avoir vendu 13 millions de pieds carrés aux promoteurs du projet, mais n’avoir reçu qu’un acompte. Il a peur que la transaction tombe à l’eau.

Il craint aussi que la valeur des quelque 7 millions de pieds carrés de terrain en zone forestière qu’il lui reste à Petite-Rivière ne fonde comme neige au soleil.

La petite élite locale, les hôteliers de Baie-Saint-Paul sont contre ça [le GéoLAGON]. Chacun se chicane pour sa galette, comprenez-vous ?

Vital Lévesque, qui a vendu les terrains qui doivent servir au GéoLAGON

Un sentier fermé

Cet avocat retraité a donc décidé d’envoyer un message : il va fermer le sentier de randonnée Gabrielle-Roy, qui passe par ses terres de Petite-Rivière. Le propriétaire permettait depuis 15 ans aux randonneurs d’y passer.

« Il y a interdiction de circuler. On va mettre une affiche d’interdiction. C’est la seule façon de me faire entendre, sinon c’est d’aller en injonction », note M. Lévesque.

L’homme n’en est pas à son premier coup d’éclat. Sa décision d’interdire le passage de motoneiges sur une de ses terres à Saint-Siméon, toujours dans Charlevoix, a été contestée devant les tribunaux. Il a gagné contre la MRC et le gouvernement en Cour supérieure, mais l’État a porté l’affaire devant la Cour d’appel.

« À Saint-Siméon, j’ai fait comme à la guerre de 14-18, des tranchées avec des pelles mécaniques. Je leur ai montré », lâche-t-il. Il promet d’être plus délicat à Petite-Rivière : un simple panneau avertissant de la fermeture du sentier sera mise en place.

La MRC « déçue »

Ce énième rebondissement dans l’affaire GéoLAGON a été reçu avec circonspection à l’hôtel de ville. Le maire de Petite-Rivière-Saint-François, qui appuie le projet, a refusé de nous parler.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Guy Bouchard, maire de Petite-Rivière-Saint-François

« On laisse aller. On a convenu de ne pas donner d’entrevue », a dit Jean-Guy Bouchard. « Pour le promoteur, le projet est toujours sur la table. »

Des utilisateurs du sentier se sont dits déçus de la décision de M. Lévesque. « Je trouve ça un peu ordinaire. Parce qu’il n’est pas d’accord avec une décision politique, il pénalise tout le milieu touristique du secteur. Je trouve que ce n’est pas cohérent », indique Guillaume Néron, membre fondateur de la coopérative l’Affluent, qui propose un café et de l’hébergement tout près du sentier Gabrielle-Roy.

M. Néron pense que cela témoigne de l’urgence d’entamer une réflexion sur le gestion des sentiers pédestres en terrains privés. « Ça se passe un peu partout. On commence à le vivre dans Charlevoix, mais en Estrie ça fait longtemps, dit-il. J’invite les institutions politiques à ne pas céder à ces pressions-là. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Tremblay, maire des Éboulements et préfet de la MRC de Charlevoix

Le préfet de la MRC de Charlevoix se dit quant à lui « déçu » de la décision de fermer le sentier. « Mais c’est sûr que c’est un terrain privé, on ne peut rien faire », dit Pierre Tremblay, maire des Éboulements.

Quant aux résolutions de la MRC qui limitent la construction d’ensembles résidentiels en zone forestière pour 90 jours, il indique qu’elles pourraient être reconduites, le temps d’organiser une consultation publique.

« Les deux résolutions ne visaient pas particulièrement le GéoLAGON », assure le préfet. « On était déjà en réflexion sur la révision du schéma d’aménagement pour essayer de contrôler les effets de projets comme GéoLAGON, mais pas particulièrement celui-là. C’est celui qui a provoqué l’étincelle. »

De nombreux élus et citoyens de Charlevoix ont émis des réserves importantes sur le projet dans les derniers mois. « Est-ce qu’on a besoin d’un tel projet qui n’a rien à voir avec Charlevoix, avec ce qu’est Charlevoix, sa nature, ses paysages, son fleuve, ses rivières, ses lacs, ses parcs ? », demandait récemment la mairesse de Saint-Urbain, Claudette Simard.