Favoriser l’immigration francophone semble actuellement faire consensus au Québec comme mesure pour favoriser le maintien du français. Le profil des immigrants que le Québec souhaite ainsi accueillir est – et sera – largement lié à l’espace international où l’on compte déjà plus de 325 millions de francophones.

On peut par ailleurs se réjouir que la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français attribue à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) un rôle central. L’ISQ dispose, en effet, d’une expertise importante dans le domaine de la production d’informations statistiques, et les enjeux entourant la langue française au Québec nécessiteront des efforts considérables en matière de suivi, de recherche d’informations de qualité et d’élaboration d’indicateurs au cours des années à venir. Relevant ce nouveau mandat, l’ISQ a récemment publié sur son site web des tableaux détaillés sur les langues au Québec1. Le fait que l’on tienne compte parfois des réalités du plurilinguisme des francophones, et parfois non, nous apparaît toutefois pour le moins étonnant.

Examinons les données présentées pour l’île de Montréal, puisque c’est dans cette région que se concentrent les immigrants. C’est à partir des résultats de ces tableaux que plusieurs observateurs ont diffusé l’information selon laquelle moins de 50 % des Montréalais parlaient le français à la maison. Il est vrai que ce seuil de 50 % marque l’imaginaire. Mais qu’en est-il exactement ?

On apprend qu’un peu plus de 955 000 personnes déclarent le français comme langue unique parlée le plus souvent à la maison sur l’île de Montréal en 2021. Toutefois, près de 175 000 personnes déclarent parler le plus souvent plus d’une langue à la maison, dont 132 000 qui citent le français. Il serait à notre avis peu approprié de les exclure de la population parlant le français sur l’île de Montréal.

Or, la proportion de la population sur ce territoire déclarant le français comme langue le plus souvent parlée à la maison (langue unique ou à égalité avec d’autres) est de 55 % et non de 48 %.

Mais allons encore plus loin. Il faut savoir que le questionnaire du recensement a connu quelques modifications au fil du temps et qu’il permet aussi de saisir toutes les langues parlées régulièrement à la maison. Le problème est que les tableaux rendus disponibles actuellement par l’ISQ ne le permettent pas. En effet, le seul tableau s’intéressant aux « langues parlées régulièrement à la maison » regroupe l’ensemble des personnes qui déclarent parler le plus souvent plus d’une langue, et ce, sans préciser combien, parmi celles-ci, déclarent le français. Comme il nous l’est d’ailleurs suggéré sur le site de l’ISQ, nous avons exploité les données issues du site web de Statistique Canada2. Résultat : sur l’île de Montréal, on se retrouve non plus avec moins de la moitié des personnes qui parlent le français à la maison, comme il a été rapporté dans les médias, mais plutôt 65 %, soit presque deux personnes sur trois.

Mieux comprendre les réalités des migrants francophones

Nous avons plus d’une fois relevé que « les plaques tectoniques de la Francophonie se déplacent du nord vers le sud avec l’Afrique qui devient le continent-pôle ». Ce continent regroupe en 2022, selon l’ISQ, six des principaux pays de naissance des immigrants récents au Québec, soit l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, mais également le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Congo-Kinshasa. Or, la réalité de cette immigration d’Afrique francophone est qu’elle est déjà à l’origine inscrite dans des pratiques plurilingues. Par exemple à Abidjan, qui compte actuellement plus de 5,6 millions de citadins, le français est utilisé comme unique langue parlée à la maison par 20 % des habitants alors que 70 % déclarent utiliser le français et une langue ivoirienne en famille. Au travail, plus de 90 % des Abidjanais déclarent parler le français.

Ce schéma francophone plurilingue, à la maison et au travail, caractérise aussi, avec quelques variantes, les grandes métropoles d’autres pays d’Afrique : Bénin, Burkina Faso, Congo, Gabon, etc. Ailleurs, le français est moins présent, mais fait figure de langue partenaire, par exemple avec le wolof à Dakar, au Sénégal, l’arabe et le tamazight au Maghreb.

En ignorant le plurilinguisme des immigrants francophones, on maintient dans l’angle mort le fait que ces dynamiques linguistiques sont complexes et évoluent lentement et de façon variable.

En d’autres termes, pour ces nouveaux arrivants, le français risque fort d’être beaucoup plus utilisé dans l’espace public qu’à la maison. Il pénètre progressivement la sphère privée précisément parce qu’il est utilisé hors de la sphère familiale.

Si on souhaite favoriser l’immigration francophone au Québec, il importe de reconnaître le caractère plurilingue de ces nouveaux arrivants. Il importe surtout et bien évidemment de le reconnaître dans les statistiques produites et dans les indicateurs que l’on nous propose.

1. Consultez la série de tableaux sur la langue publiés sur le site web de l’institut de la statistique du Québec (ISQ) 2. Consultez les données de Statistique Canada sur les langues parlées à Montréal Consultez l’étude de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion