Natalia est arrivée à Dorval avec sa valise en avril dernier. La moitié contenait des jouets de sa plus jeune fille, Kateryna. Comme toute mère qui distribue le pain à sa famille et ne se garde que des miettes, elle a laissé tout l’espace de sa valise à sa fille, qui avait de la peine à quitter son pays, ses jouets, ses vêtements, ses amis et ses professeurs pour un nouveau pays inconnu. Elle avait déjà quitté Donetsk en 2014, lors de la première invasion russe de l’Ukraine, et gardait encore de ce passage des séquelles et des cauchemars. Déménager à nouveau ? Dans ce pays où l’on ne parle ni russe ni ukrainien. Mais pourquoi ? Et pourquoi papa ne peut pas venir avec nous ? Et mon chat Barsik ?

Natalia a choisi le Québec, contrairement à la majorité des Ukrainiens qui choisissent plutôt Toronto ou l’Ouest canadien. Sur Facebook, les recommandations sont unanimes : le coût de la vie y est plus cher, mais on peut y trouver du travail en se débrouillant en anglais. Apprendre le français, après tout le stress et le trauma de la guerre, n’est pas dans les passe-temps les plus convoités des Ukrainiens. Mais pas pour Natalia. Elle se dit que ce serait formidable que ses filles parlent quatre langues. De plus, elle est tombée amoureuse du Québec lorsqu’elle a vu, dans le feuilleton télévisé sud-coréen populaire mondialement The Lonely Shining God – Goblin, une scène dans laquelle on aperçoit le Château Frontenac.

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Scène de The Lonely Shinig God – Goblin, où on aperçoit le château Frontenac

Nous avons vu le message de Natalia sur un groupe Facebook d’arrivants ukrainiens qui se cherchent un logement. Nous lui avons offert de l’héberger avec ses deux filles dans notre maison à Laval. Elle nous a fait goûter au bortsch, ce potage typique ukrainien à base de betterave, et à sa salade familiale traditionnelle au poulet, ananas, maïs, œufs cuits dur et mayonnaise. Nous lui avons fait goûter notre dinde et notre sauce aux canneberges à Noël et nos ailes de poulet au Super Bowl.

Nous avons découvert à notre grande surprise que plusieurs mots français sont très similaires en russe… Apparemment que ceci s’explique par la visite de l’empereur russe Pierre le Grand en France en 1717. Il est retourné en Russie avec des ingénieurs et artistes français et les mots français sont devenus très à la mode à cette époque dans divers domaines.

Natalia et sa fille plus âgée Hanna, qui a terminé un diplôme universitaire en Ukraine, prennent des cours de français à temps plein depuis juin dernier, offerts par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Hanna a progressé à une vitesse fulgurante. Il faut dire qu’il n’y a rien comme le langage de l’amour. Elle a un amoureux québécois pure laine originaire du Bas-Saint-Laurent. Quoi de mieux pour accélérer son apprentissage du français.

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Natalia avec ses filles Hanna (à gauche) et Kateryna à leur arrivée à l’aéroport de Montréal en avril dernier. Elles ont été accueillies par la famille d’Annick Pilon.

Ça fait près d’un an qu’elles sont maintenant au Canada. Ça fait un an que cette horrible et dégoûtante guerre a débuté. Est-ce qu’il faut vraiment que les guerres mondiales durent en moyenne cinq ans avec des millions de morts ? Lorsqu’on regarde tous ces films sur la Seconde Guerre mondiale et lors des visites de la maison d’Anne Frank ou du camp de Dachau, ou de tout autre musée de la guerre à travers le monde, on se dit que c’était terrible, mais on se rassure quelque part en se disant que c’est l’histoire du passé et qu’heureusement, cela n’arrivera plus jamais.

Pourtant, l’histoire s’écrit maintenant sous nos yeux : tous ces crimes, ces horreurs, ces destructions, ces vies humaines sacrifiées, ces humains torturés, ces familles séparées et les traumatismes de ces 14 millions d’Ukrainiens déplacés ou exilés, c’est insensé et inacceptable. Alors qu’on souhaiterait que le monde s’unisse pour combattre les changements climatiques, les virus, ou l’accès à l’eau potable, on voit nos milliards communs investis dans les armements et la destruction. Quel gaspillage !

Chaque geste compte

C’est facile de se sentir dépassé devant l’atrocité de cette guerre. Nous avons pourtant, en tant que Canadiens privilégiés, le devoir d’aider nos frères et sœurs ukrainiens. Chaque petit geste compte. J’invite aujourd’hui tous les chefs d’entreprise et les gestionnaires en ressources humaines à embaucher davantage d’Ukrainiens. Fixez-vous un objectif d’entreprise et ajoutez cela à votre tableau de bord. Près de 200 000 Ukrainiens sont déjà arrivés au Canada avec un visa de travail et des centaines de milliers d’autres ont reçu leur visa. Ils sont instruits, travaillants et motivés. Combien en avez-vous embauché ? Leur offrir du travail, c’est leur offrir une stabilité à tout le moins temporaire, dans un monde qui leur a fait perdre pied.

À tous les Ukrainiens, sachez que tous les Québécois et les Canadiens vous aiment et vous soutiennent. Elle sera rebâtie, cette Ukraine, encore plus belle, plus forte et libre. En attendant, vous êtes les bienvenus ici.

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