Un an après le début de l’invasion de l’Ukraine, les leçons militaires du conflit retiennent l’attention, et pour cause.

On note entre autres que l’Europe n’est plus à l’abri des guerres conventionnelles, que Poutine n’hésite pas à sacrifier ses troupes même s’il n’atteint pas ses objectifs, et que la force de frappe d’une superpuissance vaut parfois peu face à la détermination d’un adversaire plus faible. Les leçons non militaires de l’invasion sont également cruciales. Au moins trois d’entre elles témoignent de la nature multidimensionnelle des conflits qui marquent le monde aujourd’hui, même lorsqu’ils sont à dominance militaire comme celui en Ukraine.

« L’arsenalisation de tout »

Dans son ouvrage The Weaponisation of Everything, le politologue Mark Galeotti note qu’une multitude d’outils non militaires peut permettre aux États de déstabiliser et d’affaiblir leurs adversaires. Les mesures économiques en font partie : en plus de l’aide financière occidentale à Kyiv, la rapidité et la coordination avec lesquelles les gouvernements et les entreprises américaines, canadiennes et européennes ont imposé des sanctions économiques à la Russie ont été déterminantes jusqu’ici.

Ces sanctions ne convaincront pas à elles seules le Kremlin de faire marche arrière en Ukraine, mais un ancien membre du gouvernement Poutine soulignait récemment dans la revue Foreign Affairs qu’elles font plus mal à Moscou que ce que la propagande russe prétend, et que leur effet va grandissant au fil du temps. Le président américain Joe Biden vient d’ailleurs d’annoncer des mesures additionnelles pour affaiblir l’économie et l’industrie de la défense de la Russie, en interdisant par exemple à près de 100 entreprises russes et de pays tiers, notamment la Chine, d’acheter des semi-conducteurs fabriqués aux États-Unis ou avec des technologies et logiciels américains à l’étranger.

Les sanctions ont également fait mal à l’Occident (inflation, réduction des exportations d’hydrocarbures russes et crise énergétique en Europe), mais cette situation sera certainement bénéfique à l’avenir si elle incite les États-Unis, le Canada et l’Europe à réduire leur dépendance envers les puissances hostiles de ce monde, notamment en accélérant la transition énergétique ou en diversifiant les sources d’approvisionnement.

Le roi (cyber) est nu ?

Une deuxième leçon non militaire du conflit s’impose jusqu’à présent : la cyberpuissance russe n’a pas été aussi redoutable qu’on aurait pu le croire au départ. Alors que l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 avait fortement ébranlé les États-Unis, Moscou tarde à prouver l’utilité de ses offensives cyber pour atteindre ses objectifs militaires en Ukraine. Au début de l’invasion, des cyberattaques visant les systèmes de communication de l’Ukraine auraient pourtant atteint leurs cibles – celle contre le réseau satellite KA-SAT de Viasat aurait momentanément perturbé les opérations de défense de Kyiv –, comme le rappellent Jon Bateman et Nick Beecroft du Carnegie Endowment for International Peace. Or, par la suite, la Russie n’a pas régulièrement combiné ses offensives militaires à des cyberattaques majeures. Plusieurs raisons l’expliquent : mauvaise planification de Moscou, collaboration efficace entre Kyiv et les alliés pour renforcer la cyberdéfense de l’Ukraine, craintes de Poutine qu’une cyberattaque n’entraîne un conflit direct avec l’OTAN.

Il n’est pas impossible que la Russie accentue ses cyberattaques au fil du temps, mais la destruction matérielle des infrastructures ukrainiennes ou encore les frappes contre les gazoducs Nord Stream montrent à quel point le conflit reste à dominance militaire pour l’instant.

Ces exemples soulignent d’ailleurs l’importance d’assurer autant la sécurité physique que cybernétique de nos infrastructures pouvant être la cible d’États hostiles.

La guerre des idées

Une troisième leçon de l’invasion est que la guerre informationnelle opposant l’Ukraine à la Russie ne fait actuellement pas de grand gagnant, mais pourrait déterminer l’issue du conflit. Un an après le début de l’invasion, la machine de propagande russe bat toujours son plein sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels du pays, où des complices du régime de Poutine relaient de fausses informations, comme celles affirmant que des nazis dirigent l’Ukraine ou que Kyiv et ses alliés mettent en scène des massacres sur le sol ukrainien pour discréditer Moscou. Ce faisant, la Russie espère bien sûr conserver l’appui de sa population et des pays amis (Iran, Chine, Venezuela), mais aussi diviser les sociétés occidentales en les incitant à remettre en question les informations et les images provenant du terrain.

Côté ukrainien, le président Zelensky a rapidement et habilement convaincu ses homologues de l’urgence d’agir, amenant les dirigeants occidentaux à faire front commun. La visite et le discours de Zelensky devant le Congrès des États-Unis en décembre dernier montrent qu’il n’a pas perdu sa détermination, mais qu’il sait également que l’Ukraine ne pourra pas résister longtemps à l’envahisseur sans l’aide militaire et financière de l’Occident et des États-Unis au premier chef. Selon les dires de Joe Biden à Kyiv et en Pologne cette semaine, le président des États-Unis semble prêt à tout pour aider l’Ukraine à vaincre la Russie. Reste à voir pendant combien de temps les élus de Washington et des capitales occidentales accepteront d’investir dans une guerre dont on ne voit pas la fin.

* Cosignataires : Danny Gagné et Fanny Tan, chercheurs en résidence à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la chaire Raoul-Dandurand

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