Depuis que la pandémie s’est immiscée dans nos vies en mars 2020, ce sont 37 femmes qui ont été assassinées par un conjoint ou un ex-partenaire et huit enfants tués par leur père dans un contexte de violence conjugale au Québec. Ce sont plus de 70 enfants qui sont aujourd’hui sans mère pour la simple raison qu’un homme a voulu asseoir sa domination et son contrôle sur elle.

Dans le contexte de la Journée internationale des droits des femmes, nous appelons à un devoir de mémoire. Nous réitérons l’importance de se souvenir des femmes qui ont perdu la vie aux mains de leurs agresseurs. Mais, appliquer la devise québécoise « Je me souviens » doit se faire en gardant en tête toutes les femmes, dans toute la diversité et l’hétérogénéité qu’elles présentent en tant que groupe social.

Il nous semble important de rappeler pourquoi nous utilisons l’intersectionnalité en apportant notre point de vue de travailleuses en maison d’hébergement qui peuvent voir son utilité au quotidien sur le terrain. Nous souhaitons aussi apporter une analyse éclairante en posant un regard sur les féminicides en contexte conjugal des trois dernières années.

D’abord, en 2022, Maria Cristovao, Madeleine Désormeaux, Louise Avon, Annie Di Lauro, Donna Callahan, toutes assassinées par leur conjoint, étaient âgées de 64 à 90 ans, démontrant clairement que la violence envers les femmes s’exerce à tous âges.

Ces femmes nous rappellent aussi l’importance de considérer l’impact du vieillissement en plus de la violence conjugale, par exemple en tenant compte de la fracture numérique entre les jeunes générations et celles plus âgées, afin de garantir l’accessibilité et l’adaptabilité des services et de l’intervention auprès des victimes en fonction de leur niveau de littéracie numérique.

Le cas de Johanne Bilodeau, décédée en septembre 2020 des mauvais traitements de son conjoint de qui elle dépendait pour recevoir des soins depuis un sévère accident vasculaire cérébral, est lui aussi très éclairant. Comment quitter un milieu violent si l’on se repose sur notre agresseur pour se déplacer ?

Nous gardons en tête des femmes handicapées comme Mme Bilodeau ou des mères d’enfants avec des limitations fonctionnelles qui sont brutalisées par leur conjoint, mais voient leur séparation complexifiée par la crainte de ne pouvoir offrir l’ensemble des soins nécessaires à leurs enfants en trouvant refuge ailleurs.

C’est pourquoi nos maisons d’hébergement s’appliquent à développer des lieux évolutifs pour permettre aux multiples femmes et enfants qui fréquenteront ces lieux de se sentir en sécurité et confortables, indépendamment de leurs limitations fonctionnelles.

Si les stratégies de contrôle des agresseurs ont pour but d’isoler les victimes, les femmes immigrantes se trouvent d’autant plus vulnérables face à la violence de leur conjoint vu leur accès à un réseau souvent très limité.

Souvenons-nous de Gisèle Itale Betondi, de Kamila Rodriguez Vital de Quieroz, de Rajinder Prabhneed Kaur et de leurs enfants tous présents lors du meurtre de leur mère.

C’est en gardant en tête qu’en plus d’affronter un système judiciaire complexe, de nombreuses femmes immigrantes doivent naviguer dans un système culturel étranger que nos maisons d’hébergement adaptent leurs services afin d’offrir, entre autres, des services dans la langue natale des victimes.

Enfin, comment pouvons-nous expliquer que les femmes inuites représentent 11 % des victimes de féminicides en contexte conjugal depuis le début de la pandémie alors qu’elles ne représentent que 1,4 % des femmes au Québec ?

L’intersection des violences envers les femmes et du racisme permet de garder un regard critique sur des enjeux primordiaux d’accès à la justice dans les communautés autochtones, de barrières culturelles et langagières au sein du système judiciaire, de sous-financement des corps policiers autochtones autogérés ainsi que de confiance envers les forces de l’ordre.

La commission Viens découle précisément d’allégations qu’ont faites des femmes autochtones relativement à des agressions sexuelles commises par les forces policières de Val-d’Or. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) fait clairement état de pratiques policières et judiciaires inadéquates auprès des femmes et des filles autochtones.

En bref, l’intersectionnalité est bien simple : comme les vêtements « one-size-fits-all » ne s’adaptent en réalité pas vraiment à tous les corps, l’intervention auprès des femmes en danger doit elle aussi s’offrir en plusieurs formats afin de s’adapter à la réalité de chacune d’entre elles.

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