La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a lancé une grande revue opérationnelle de la diplomatie canadienne il y a un peu plus d’un an. Elle devrait aboutir prochainement.

Nous sommes, tous deux, d’anciens employés de l’ambassade du Canada en France. Nous sommes tous deux Canadiens. Pendant plus de 25 ans, nous avons observé et contribué activement à l’action diplomatique canadienne à Paris.

Nous prenons la parole parce que, tout comme la ministre, nous sommes convaincus que ce qui se passe dans le monde « a un impact à la maison et dans la vie quotidienne ».

Or c’est bien là un des manques de notre diplomatie que nous avons trop fréquemment observé. Elle prend trop peu en compte les besoins des habitants de ce pays, où qu’ils soient. Au-delà des grandes discussions et réflexions sur les enjeux planétaires, il faut en faire une diplomatie du quotidien.

La pandémie de COVID-19 et le dérèglement climatique, pour ne donner que ces exemples, ont cruellement prouvé que ce qui se passe à l’autre bout de la planète a aussi un impact bien réel sur le quotidien des populations. On peut également affirmer le contraire. Ce qui vient d’ailleurs peut aussi nous aider à trouver des solutions à nos difficultés.

Combien de fois, à l’ambassade du Canada à Paris, n’avons-nous pas été approchés par des responsables politiques et des journalistes français désireux de mieux connaître la gouvernance canadienne pour améliorer la sécurité publique, le fonctionnement des hôpitaux, la gestion des finances publiques, parmi une multitude d’autres sujets ? À notre tour, combien de fois n’avons-nous pas constaté de nombreuses pratiques françaises que la gouvernance canadienne, où qu’elle soit, gagnerait à mieux connaître ?

Or, nous ne comptons plus le nombre de fois où nous avons assisté au retour au Canada d’un ministre et de sa délégation, à la suite d’une visite officielle en France, sans autre résultat qu’un rapport résumant ce qu’ils ont vu et entendu sans aucun projet de suivi sur le sol canadien.

Lors de la visite d’un premier ministre, c’est encore plus vrai. Outre les nécessaires et profitables discussions avec le président français et son premier ministre autour d’enjeux communs de politique étrangère, les retombées au Canada d’un séjour en France restent limitées, pour dire les choses poliment.

Il y a de nombreuses raisons à cela. Au Canada, beaucoup de sujets touchant au quotidien des citoyens relèvent d’autres ministères fédéraux que celui des Affaires étrangères. Autant de domaines qui relèvent aussi des provinces et des villes. Et nous pourrions mentionner la part grandissante prise par les organisations non gouvernementales et privées dans la gestion de ce qui ne relevait à une époque que du secteur public.

Tout ce beau monde fait de l’international : les autres ministères que celui des Affaires mondiales, les provinces, au premier chef bien sûr le Québec, les grandes villes. Il faut ajouter l’activisme des plus importantes organisations non gouvernementales et associations canadiennes, les réseaux des scientifiques.

Or, les liens entre tous ces acteurs sont particulièrement lâches lorsque vient le temps de réfléchir à l’action du Canada à l’étranger. On y pratique peu l’interministériel, encore moins l’intergouvernemental, et les synergies avec les autres acteurs de la société sont quasi inexistantes. La culture du silo règne en maître.

Enfin, une des plus importantes clés réside assurément dans la gestion des ressources humaines. La grande majorité des employés qui, dans tout le réseau des ambassades et consulats du Canada partout dans le monde, gèrent au quotidien les demandes et besoins de nos citoyens, de nos entreprises, de nos gouvernements et responsables politiques, sont recrutés sur place. Eux ne retournent pas au Canada tous les quatre ou cinq ans. Ce sont majoritairement des citoyens du pays. Mais ils peuvent aussi être des Canadiens qui ont fait le choix de vivre à l’étranger. C’était notre cas.

Il y aurait beaucoup à dire sur leur situation. Les règles entourant l’immunité diplomatique font qu’ils ne sont formellement protégés par aucun droit – ni le droit de leur pays d’origine ni le droit canadien. Gênant pour un pays comme le Canada qui fait de l’État de droit un de ses chevaux de bataille.

Les employés locaux maîtrisent souvent mieux le fonctionnement de la société dans laquelle ils évoluent. En revanche, ils connaissent moins les besoins, forces et faiblesses de la société canadienne que les diplomates de carrière. Il y a là une véritable complémentarité riche de possibilités dans une diplomatie à la recherche de ce qui ailleurs peut améliorer notre vie collective chez nous.

Notre action internationale classique a les limites de la petite puissance que nous sommes. En redéfinissant ainsi notre politique étrangère vers une diplomatie du quotidien, le Canada, lucide sur son poids réel, innoverait et pourrait, à son tour, servir d’exemple.

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