En juin 2021, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a changé la vie de nombreux enfants au Québec qui se voyaient privés de soins de santé en raison du statut d’immigration de leurs parents. Ces enfants avaient accès à l’éducation, mais pas à l’aide médicale, ce qui était à la fois illogique et inique. Grâce à la loi 83, ces enfants sont désormais couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), indépendamment du statut migratoire de leurs parents.

Cependant, le ministre s’est montré réticent à l’idée d’inclure la santé des femmes enceintes dans cette nouvelle loi en faveur des droits et de la protection des enfants, de crainte de favoriser le tourisme obstétrical. Médecins du monde a entendu les préoccupations du ministre Christian Dubé sur cet enjeu à la suite de la publication du dossier de Suzanne Colpron « Migrantes à statut précaire, s’endetter pour accoucher »1, le 16 février dernier.

Or, la santé des enfants est étroitement liée à la santé de la mère.

La malnutrition pendant la grossesse peut être associée à l’apparition de futures maladies chroniques ainsi qu’à des retards de développement cognitif chez l’enfant.

Le manque de suivi tout au long de la grossesse empêche d’identifier les risques et de mettre en place les mesures nécessaires afin d’éviter des conséquences malheureuses pour le développement du fœtus, l’augmentation du risque de naissances prématurées, de bébés ayant un faible poids ou de malformations congénitales. La science est claire sur ce point.

Aujourd’hui, nous sommes en mesure de démontrer que les risques sociaux et financiers liés au tourisme obstétrical ont été largement exagérés.

Les hôpitaux au Québec n’enregistrent pas de données sur le statut d’immigration des femmes qui y accouchent. Il est ainsi impossible de faire la distinction entre les femmes dépourvues d’assurance médicale qui habitent au Québec et celles qui sont simplement de passage sur le territoire. De plus, l’obligation de présence au Québec de 183 jours par année pour avoir accès à la RAMQ atténue grandement ce risque.

Pour ces femmes dépourvues d’assurance médicale, certains seront tentés de suggérer le recours à une assurance médicale privée. Il se trouve que presque un tiers des femmes enceintes qui appellent dans l’année à la clinique de Médecins du monde pour un suivi de grossesse possèdent une assurance privée qui ne couvre cependant pas les frais liés à la grossesse, ou encore qui impose des limites de réclamations pour certains soins.

Justement, parlons de coûts !

Plusieurs études européennes et américaines ont démontré que l’absence d’accès aux soins de santé durant la grossesse peut coûter jusqu’à plus de 200 % plus cher à l’État qu’offrir une assurance de santé publique.

Ni les médecins ni les infirmières ne sont des agents d’immigration : leur rôle est de soigner. Parmi les femmes qui se présentent dans les services de santé pour accoucher, plusieurs n’ont reçu aucun suivi de grossesse et ne disposent pas de dossier médical, ce qui peut avoir des conséquences importantes pour l’accouchement et leur bébé à naître. Les professionnels de la santé doivent naviguer à l’aveugle et sont témoins, malgré eux, de l’impact des failles du système sur leurs patientes et leurs enfants. Alors que le personnel soignant est à bout de souffle, la gestion de ces situations complexes engendre un stress important et inutile pour les équipes du système de santé.

Sur le site web du Ministère, une note apparaît sous la définition du tourisme obstétrical. Il y est indiqué que « cette pratique, qui n’est pas possible dans tous les pays, permet souvent aussi de bénéficier d’un accouchement et de soins postnataux gratuits ». Pourtant, rien n’est gratuit. Les femmes payent, négocient, ont des problèmes de sommeil en raison de ce stress et vont parfois jusqu’à se priver de nourriture pour rembourser les frais liés à l’accouchement. Le ministre Dubé a été le ministre de la Santé des enfants, mais sera-t-il aussi le ministre de la Santé des femmes ?

1. Lisez le dossier de Suzanne Colpron Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion