En réponse à l’éditorial de Stéphanie Grammond sur la réforme du régime de retraite, publié le 21 janvier⁠1.

Le 21 janvier dernier, la journaliste Stéphanie Grammond, éditorialiste en chef et responsable de la section Débats au journal La Presse, signait un éditorial intitulé « Réformer la retraite, sans tordre de bras ». Elle soulignait que le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, avait déposé un document de consultation sur l’avenir du Régime de rentes du Québec juste avant les Fêtes. Les consultations prévues en février ont d’ailleurs eu lieu les 8, 9 et 14 février derniers.

Mme Grammond écrivait : « Si la réforme des retraites en France est nécessaire pour assurer l’équilibre du système, il en va tout autrement pour le RRQ, qui est en pleine santé. Il y a assez d’argent en réserve pour assurer le paiement de toutes les rentes d’ici 50 ans, ce dont on peut se réjouir… avec prudence.

« Les changements proposés au Québec ne visent donc pas à faire des économies. Au contraire, les retraités en sortiraient globalement gagnants. Dans le premier scénario, on reporterait l’âge minimal à 62 ans et l’âge maximal à 72 ans, d’ici 2030. Soyons bien clairs : les retraités ne perdraient pas au change. Pour la majorité des Québécois, il est plus payant de se priver de sa rente pendant quelques années (quitte à décaisser ses économies plus rapidement pour vivre) afin de recevoir une rente plus élevée pour le restant de leurs jours. Une rente garantie par l’État. Pleinement indexée. »

Elle continuait en écrivant : « Le ministre Girard a donc raison de présenter ce projet comme un moyen d’améliorer la sécurité financière des futurs retraités, dont un nombre alarmant risque de manquer d’épargne à la retraite, avec l’espérance de vie qui s’étire. »

Des passages impeccables sans inexactitudes. Alors pourquoi tant de groupes consultés s’y sont opposés ? En partie à cause de cet autre constat mentionné par Mme Grammond. « Ceux qui demandent leur rente dès que possible, tout en continuant de travailler, prennent une mauvaise décision financière en brûlant la chandelle par les deux bouts. Mais il faut reconnaître que d’autres travailleurs ne peuvent faire autrement que de réclamer leur rente aussi jeune, parce que leur emploi est trop pénible et qu’ils n’ont pas d’économies. »

Au cours de ma carrière d’actuaire, j’ai souvent entendu le proverbe : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Cela signifie « mieux vaut opter pour quelque chose que l’on peut obtenir immédiatement plutôt que pour quelque chose de plus de valeur, mais que l’on n’est pas sûr d’obtenir plus tard ».

Avec le report de l’âge minimal à 62 ans, nous sommes en présence d’une situation du type « un tiens vaut-il mieux que quatre tu l’auras ? ».

Autrement dit, il est extrêmement avantageux d’un point de vue financier d’attendre à 62 ans pour commencer à recevoir sa rente. Pourquoi ? C’est une question de longévité, c’est-à-dire qu’une grande partie de la population va vivre au-delà de 85 ans et même 90 ans. En fait, un homme sur quatre et une femme sur trois atteindront l’âge de 93 ans. Le report de l’âge minimal à 62 ans est encore plus avantageux pour les femmes que pour les hommes.

Attendre à 62 ans, c’est recevoir une rente de 23 % plus élevée pendant au moins 25 ans. Au lieu de recevoir 600 $ par mois à compter de 60 ans, c’est plutôt 738 $ par mois à compter de 62 ans.

Une rente pleinement indexée, ça signifie quoi en dollars ? Si l’inflation continue à un rythme de 4 % par année, c’est 168 $ de plus par mois dans cinq ans pour un montant qui avoisinera les 900 $ par mois. Autrement dit, la différence initiale de 138 $ est maintenant de 168 $. Et cette différence continue de croître avec l’inflation. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une sécurité financière améliorée.

C’est un pensez-y-bien !

Cette proposition constitue une solution financière avantageuse pour au moins 90 % des personnes visées.

Parmi celles qui demandent leur rente à 60 et 61 ans, au moins 9 personnes sur 10 en sortiront gagnantes. Je dirais même très gagnantes.

Tous les groupes consultés en commission parlementaire ont reconnu qu’il était avantageux de retarder le paiement à 62 ans. C’est le premier côté de la médaille. Retirer un droit est souvent perçu comme une perte et non comme un gain. C’est le second côté de la médaille. La plupart des groupes consultés ont choisi cette optique même si elle continuera à désavantager un grand nombre de Québécois et Québécoises.

Ayant assisté et participé activement aux consultations, je peux affirmer sans ambages que le ministre Girard devra faire preuve d’un très grand courage politique pour mettre de l’avant cette proposition audacieuse et surtout très bénéfique pour les Québécois. Ce qui est bon pour le Québec l’est sûrement pour le reste du Canada. La ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, aura-t-elle le courage d’en faire autant pour le Régime de pensions du Canada ?

1. Lisez l’éditorial « Réformer la retraite, sans tordre de bras » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion