Si l’épargne pour la retraite est souvent insuffisante, imaginez celle vouée à sa propre mort. C’est zéro, dans bien des cas. Pour être précis, ce sont 35 % des familles endeuillées qui comptent exclusivement sur la prestation de décès de 2500 $ versée par le Régime de rentes du Québec (RRQ) pour organiser des funérailles.

Comme c’est toujours le cas, un budget limité nous force à faire des choix plus ou moins difficiles et à composer avec les déceptions qui viennent avec. Mais quand il s’agit de la mort d’un proche, chaque décision est chargée émotionnellement. On n’achète pas des services funéraires dans le même état d’esprit qu’un voyage.

Depuis 26 ans, le RRQ verse une prestation de décès de 2500 $. Le montant, imposable, n’a pas bougé depuis tout ce temps, tandis que la facture moyenne des funérailles atteint désormais 7557 $.

Même si le sujet n’était pas au programme des consultations publiques sur l’avenir du RRQ, il s’y est invité.

Tant le Conseil du statut de la femme que le Réseau FADOQ et l’Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic ont plaidé en faveur d’une augmentation de la prestation. La CSN a évoqué l’idée qu’elle soit rehaussée pour les prestataires de l’aide financière de dernier recours ou du Supplément de revenu garanti.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la Corporation des thanatologues du Québec souhaite que le montant bondisse substantiellement. À 5866 $, indexé et non imposé. Une position qu’elle est venue exprimer au ministre des Finances, Eric Girard, mardi matin, avec verve et statistiques. Bien sûr, on peut y voir un conflit d’intérêts discréditant. Mais l’intervention avait le mérite de rendre très concrètes les conséquences d’un manque de fonds pour s’offrir des funérailles en adéquation avec ses valeurs, sa religion ou les volontés du défunt.

« C’est nous qui devons justifier des décisions politiques qui ne nous appartiennent pas », a déploré Geneviève Veilleux, vice-présidente du conseil de la Corporation des thanatologues du Québec.

Les clients se fient au montant de la prestation du RRQ pour se faire une idée des coûts qui leur seront facturés, a-t-elle raconté. Quand ils apprennent que 2500 $ ne suffiront généralement qu’à payer une « crémation directe » (aller chercher le corps, l’incinérer et remettre les cendres à la famille), c’est un choc. Certains s’endettent, d’autres pigent dans leur REER.

« Le 2500 $, ça envoie un mauvais signal. Ça crée du mécontentement », a renchéri la présidente Annie St-Pierre.

La prestation du RRQ ne permet pas de payer un rassemblement, une cérémonie ou une place au cimetière. Or, cela est important dans le processus de deuil, a plaidé Geneviève Veilleux. Au plus fort de la pandémie, l’absence de rituels a d’ailleurs rendu les deuils plus difficiles en plus de fragiliser la santé mentale des personnes.

Je ne doute pas de la véracité de ces témoignages ni de leur sincérité. Mais comme le député de René-Lévesque, Yves Montigny, je me questionne sur les conséquences d’un bond considérable de la prestation de décès. « Comment peut-on s’assurer que vous ne faites pas cette demande pour que les montants vous reviennent ? », a-t-il demandé avec raison.

On lui a répondu que l’objectif était d’éviter l’endettement des familles et de diminuer les refus de services jugés importants pour faire son deuil. De plus, le prix moyen des services est déjà supérieur à 5866 $.

Soit, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, le risque de provoquer une hausse de prix généralisée dans les salons funéraires ne peut pas être nul.

En doublant le montant disponible dans les proches de tous leurs clients, les complexes funéraires auront moins d’incitatifs à maintenir des prix raisonnables. Ils pourraient aussi être tentés de fixer le prix de leur forfait de base à 5866 $, ce qui aurait un effet sur tous les autres. Et comme la somme semble tomber du ciel, les endeuillés ne se priveront pas de la dépenser en entier, ce qui profitera aux 140 entreprises du secteur. La concurrence régulera-t-elle le marché ? Dans le contexte de consolidation qu’on connaît, on peut en douter. Encore en janvier, Athos (Urgel Bourgie, Lépine Cloutier) achetait Memoria (20 % du marché québécois).

Annie St-Pierre reconnaît que sa demande la place dans une position délicate. D’ailleurs, elle aimerait mieux laisser ce cheval de bataille à d’autres. « Mais vu que c’est nous autres qui faisons cette lutte-là, on a cette question-là. Je ne peux pas vous dire que les prix n’augmenteront pas, on est des entreprises privées comme tout le monde, soumises à l’inflation. Mais l’objectif, aujourd’hui, c’est de mettre un terme au fait que des familles sont obligées de renoncer à des options parce qu’elles n’en ont pas les moyens. »

Actuellement, la prestation coûte 133 millions par année au RRQ, soit 0,7 % des cotisations versées. La faire passer à 5866 $ coûterait 179 millions (0,1 % de la réserve) de plus. La suggestion de la Corporation des thanatologues est basée sur le montant de la prestation de 1997 (il a ensuite baissé) auquel l’inflation des 26 dernières années fut ajoutée.

Le ministre Girard a qualifié la proposition « d’extrêmement coûteuse » pour le régime. On pourrait aussi la qualifier, sans doute, « d’extrêmement nécessaire » pour les familles démunies, et « d’extrêmement profitable » pour l’industrie.