En réaction au texte de Joël-Denis Bellavance sur la disposition de dérogation, « Trudeau envisage de se tourner vers la Cour suprême⁠1 », publié le 21 janvier

J’ai lu l’article de Joël-Denis Bellavance avec l’entrevue de notre premier ministre Justin Trudeau, et les commentaires apportés par mon ami, le professeur et ex-ministre de la Justice du Québec Benoit Pelletier.

Permettez-moi de souligner mon désaccord avec M. Pelletier sur un point particulier : je ne crois pas que le renvoi à la Cour suprême d’une question visant à encadrer le pouvoir bien établi de recourir à la clause nonobstant soit approprié.

La Cour, comme vous l’avez mentionné ailleurs dans votre article, a déjà déclaré qu’il n’était pas nécessaire de justifier l’utilisation de la clause ; c’est, à mon humble avis, très clair.

Cette clause a été obtenue de haute lutte par les provinces pour accepter, finalement, le rapatriement de la Constitution.

Le premier ministre Trudeau peut être agacé par les recours successifs à la clause par les provinces, mais on est loin de l’Afghanistan… les droits et libertés des citoyens canadiens sont protégés comme nulle par ailleurs sur la planète. Il ne peut pas utiliser le renvoi à la Cour suprême comme moyen de contourner l’état de fait légal.

Demander à la Cour suprême de décider comment la clause dérogatoire devrait être encadrée, c’est comme lui demander de légiférer à sa place…

De la tyrannie

Par ailleurs, le premier ministre déclare que la Charte des droits protège les minorités contre la « tyrannie » de la majorité. Le premier ministre devrait se rappeler que la Charte protège tous les Canadiens, les gens qui font partie de la « majorité », c’est beaucoup de monde, et parfois ils ont aussi besoin d’être protégés contre la « tyrannie » de certaines minorités… c’est une question d’équilibre.

Il pourrait cependant élargir le débat. D’ailleurs, les questions en litige dans le débat constitutionnel sont nombreuses, cependant, la clause dérogatoire n’est pas en première place. On pourrait plutôt vouloir réparer le gâchis de 1982, celui de 1987 et 1990 (Meech), ou encore discuter d’un partage plus équilibré des responsabilités fédérales et provinciales. Ou encore mettre de côté, pour de bon cette fois-ci, les références à la royauté dans notre système parlementaire.

Par ailleurs, pour en revenir à la Charte, alors que j’étais ministre de la Justice en 1993, je m’étais exprimé publiquement là-dessus.

Je croyais, et je crois toujours, que la Charte des droits et libertés est précieuse et nécessaire. Cependant, elle ne devrait pas être utilisée à tout venant, ce qui contribue à lui faire perdre en importance et non à en gagner.

Devant les tribunaux, et je sais aussi de quoi je parle, c’est devenu commun de soulever la Charte pour des motifs souvent futiles. La conséquence directe de cette habitude de soulever la Charte comme argument explique en partie le retard important des causes devant les tribunaux, puisque les juges ont l’obligation de répondre de façon formelle à chaque fois. La juge en chef de la Cour du Québec l’a mentionné expressément dernièrement : la Charte est importante et les manquements sont relativement rares.

Le Canada est sans doute l’un des meilleurs pays au monde où il fait bon vivre. Les droits fondamentaux sont la plupart du temps respectés, et nous devrions en être fiers.

La Charte des droits est là et on devrait la respecter au premier chef en évitant de l’invoquer à tout moment pour des questions qui ne le justifient aucunement.

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